Correction des prix du brut – 2ème partie

Avi Krawitz

La baisse des prix du brut de la De Beers lors du sight de janvier pendant la semaine du 19 janvier n’a pas suffi. Le minier a réduit ses tarifs de 4 % en moyenne. [:]La société a adopté une stratégie de limitation de l’offre, parallèlement à un ajustement graduel des prix sur un marché actuellement fragile (voir le rapport complet sur le sight ici). Étonnamment, la plupart des sightholders ont semblé appuyer cette stratégie, et ce malgré leur frustration face à l’absence de bénéfices sur l’offre de la De Beers.

Les fabricants imaginent que cette politique va stabiliser le marché. Ce faisant, ils attendent que les détaillants de bijoux se réapprovisionnent à des niveaux qui permettraient de raffermir les prix du taillé.

Sachant cela, la De Beers a autorisé les fabricants à reporter 25 % des marchandises proposées en janvier aux sights de février ou mars, assouplissant ainsi les règles habituelles de report. La société a supposé qu’avec l’évidente « indigestion » du marché en janvier, le cycle de réapprovisionnement interviendrait plus tard que d’habitude cette année (voir l’éditorial Correction des prix du brut, publié le 16 janvier 2015).

Or, en réalité, cette indigestion serait mieux soignée par une brusque réduction des prix du brut.

La baisse graduelle des tarifs est une approche à courte vue. Elle démoralise le marché et lui fait croire que les prix vont continuer à reculer. En effet, même si les sightholders continuent de subir des pertes sur les boîtes de la De Beers en janvier, ils espèrent de nouvelles baisses de prix en février.

Lorsque des acheteurs anticipent un recul des prix, ils arrêtent d’acheter. Pourquoi continueraient-ils alors que les prix seront moindres demain ? Après le sight et les remises pratiquées sur les boîtes du marché secondaire, l’humeur reste donc morose pour le brut.

Au lieu de cela, en réduisant fortement les prix du brut à un niveau rentable pour les fabricants, les miniers montreraient que la correction leur est destinée, pour leur permettre d’acheter de nouveau.

La De Beers ne devrait plus réduire ses prix, mais elle organisera probablement des sights réduits dans les mois à venir. Or, limiter l’offre pour maintenir les prix pose d’autres problèmes. Cela suppose que les tarifs augmenteront en raison d’une pénurie, et non grâce à la demande. Il est risqué de créer de la pénurie et d’attendre que le marché se reprenne. Et si le cycle était plus long que prévu ?

La plupart des professionnels, De Beers comprise, semblent attendre la fin du premier trimestre pour réévaluer leur position. Reste à savoir si la situation va s’améliorer en avril. Le Nouvel An chinois ne laisse pas beaucoup d’espoir et les détaillants de bijoux américains ne font pas preuve de leur habituel enthousiasme du mois de janvier, qui les amène à acheter de grandes quantités de diamants pour leurs stocks. Il reste également de grandes quantités de taillé sur le marché. Bien que ces prix aient chuté ces neuf derniers mois, mieux vaut acheter du taillé que de transformer du brut.

Les sightholders devraient donc continuer de subir des pressions tout au long du premier trimestre. Après tout, s’ils ont pu reporter une grande partie de leurs approvisionnements de janvier jusqu’au mois de mars, ils devront accepter les marchandises à ce moment-là. Et il semble bien que la facture sera assez élevée. 

Cela pourrait être révélateur de la quantité de l’ITO (intention de vendre) actuelle qui aura été refusée le 31 mars, lorsque les contrats vont expirer. Si la De Beers cherche à créer de la pénurie et à maintenir des prix relativement élevés pour le brut, les sightholders continueront de refuser des marchandises qu’ils ne peuvent pas se payer. Ils cesseront d’acheter du brut qui n’est pas rentable, tout simplement pour éviter la faillite.

Maxim Shkadov, le président de l’International Manufacturers Association (IDMA), a déjà exhorté ses membres – ou, comme il les appelle, les « clients des producteurs de brut » – à « se montrer responsables et à ne pas acheter ! » Dans un message publié sur le site Web de l’IDMA, Maxim Shkadov a souligné que les fabricants réalisaient un bénéfice nul sur leur approvisionnement de la De Beers et d’ALROSA. 

Il est certain que les banques n’offrent plus de prêts pour des achats de brut non rentables. Avec la baisse du crédit bancaire, même s’ils le voulaient, les fabricants ne pourraient pas acheter, car ils n’ont plus de fonds. Dès lors, en maintenant des prix élevés pour le brut, les miniers contribuent à une plus grande décapitalisation du marché. 

À un moment ou à un autre, les miniers vont devoir générer de la trésorerie.

À l’issue d’une année 2014 exceptionnelle, faite de ventes record et de bénéfices solides, ils vont peut-être connaître une pause, à force de naviguer dans un environnement déprimé. La baisse des coûts de l’énergie et la dépréciation des devises russe, sud-africaine et canadienne induisent une baisse des coûts de l’activité minière, qui pourrait amortir pour un temps l’effet du recul des ventes.

Toutefois, à un moment ou à un autre, ils vont devoir vendre car la De Beers n’est pas en position de stocker des diamants. Autant le gouvernement du Botswana qu’Anglo American, avec leurs participations respectives dans la De Beers, vont avoir besoin de trésorerie. Il en va de même pour ALROSA. Le gouvernement russe a besoin d’argent, étant donné l’impasse économique actuelle du pays. 

Comme sur commande, ALROSA a laissé entendre, jeudi 29 janvier, qu’en 2015, elle se concentrerait sur l’augmentation de la trésorerie plutôt que sur une hausse des prix. Cette année, la société prévoit d’augmenter sa production de 5 %, à 38 millions de carats, et son volume de ventes de 1 %, à 40 millions de carats. Actuellement, la demande est suffisante pour un tel volume, à des prix bien inférieurs.

La De Beers sera probablement obligée d’envisager une autre approche de sa tarification et de sa politique d’approvisionnement. Générer des pénuries ne va pas stimuler le marché car la demande de taillé est en berne. D’autre part, quasiment rien n’est fait pour assurer la demande des consommateurs, face à la concurrence féroce d’autres produits. 

Imaginez qu’Apple a vendu 74,5 millions d’iPhone, pour un chiffre d’affaires de 74,6 milliards de dollars et des bénéfices indécents de 18 milliards de dollars au dernier trimestre 2014. Avec en moyenne 687 dollars pour un iPhone, les appareils électroniques sont clairement arrivés au niveau des diamants génériques. Le fait qu’un trimestre de chiffre d’affaires d’une société dépasse presque la demande mondiale des bijoux en diamants sur une année devrait inquiéter les détaillants, les fabricants et les miniers.

Ainsi, Martin Rapaport, le président du conseil du Rapaport Group, explique que les prix élevés du brut nuisent à l’industrie diamantaire.

« Les sociétés minières captent trop d’argent et elles privent les distributeurs et les détaillants de leur rentabilité. Il n’y a alors plus assez de fonds pour le marketing et la promotion. Personne ne soutient la demande générique de diamants. Les sociétés minières sont trop gourmandes pour leurs propres marchandises. Elles prennent, elles ne donnent pas. Elles détruisent la demande future en échange de bénéfices à court terme », a-t-il expliqué.

« Manipuler l’offre pour augmenter la demande, c’est comme applaudir d’une seule main, a ajouté Martin Rapaport. Au final, les prix du brut doivent baisser pour redonner de la rentabilité à la fabrication et au marketing. »

Autrement dit, les baisses des prix du brut lors du sight de janvier n’ont pas été suffisantes pour permettre cela.

Source Rapaport