Ce que veulent vraiment les clients de De Beers et d’ALROSA

Joshua Freedman

Les sujets les plus délicats pour les clients sous contrat – les prix du brut élevés et de faibles marges bénéficiaires – sont intrinsèquement liés à la question complexe de la personnalisation.

Demandez à un client sous contrat de De Beers ou d’ALROSA le plus gros problème qu’il rencontre lorsqu’il utilise le système ancestral des miniers pour vendre leur brut, la réponse fera probablement mention de la question des prix. 

Les prix élevés du brut, par comparaison avec ceux du taillé, réduisent les marges bénéficiaires des fabricants depuis des années. Mais il est une question plus complexe derrière ces récriminations, qui est le manque de personnalisation.

Les deux géants miniers vendent la majeure partie de leurs marchandises à des groupes de clients bien établis, lesquels s’engagent à acheter certaines quantités de brut en échange d’une offre garantie. Les pierres sont généralement présentées dans des boîtes organisées à l’avance, que les clients peuvent accepter ou refuser.

Généralement, chaque assortiment contient des diamants qui intéressent le client et d’autres qu’il n’achète que pour honorer son contrat. Bien que De Beers et ALROSA aient apporté une certaine dose de flexibilité, la réalité est toujours la même : pour obtenir du brut rentable, les acteurs de la filière intermédiaire doivent acheter d’autres marchandises de valeur insuffisante.

« La principale question reste celle de la personnalisation. La deuxième est celle du prix », a déclaré un responsable d’un client sous contrat d’ALROSA et de De Beers à Rapaport News début août.

Ces deux facteurs sont étroitement liés. Les clients doivent tenir compte non seulement du prix des marchandises qu’ils veulent mais également de celles qui finiront par être rangées dans un coffre-fort ou revendues dans des conditions peu favorables.

Le problème est moins prononcé pour les négociants de brut qui gagnent de l’argent en proposant les marchandises sur le marché secondaire. Ils préfèrent généralement acheter et revendre de gros volumes, d’après des sources. Toutefois, ce modèle ne fonctionne pas pour la plupart des sociétés de taille, qui se spécialisent dans des catégories spécifiques. Le brut qu’elles ne peuvent pas transformer – soit parce que ce n’est pas leur spécialité, soit parce qu’il n’est pas rentable – n’est quasiment d’aucune utilité pour elles.

« Si vous achetez toute l’offre des miniers, vous devez vendre les marchandises dont vous n’avez pas besoin et faire crédit au marché secondaire, puis recouvrer l’argent, a expliqué l’acheteur. Cela représente un gros problème en ce moment. Personne ne sait à qui faire crédit et combien en accorder. Les fabricants comme nous ne cherchent pas à gagner de l’argent en revendant les marchandises. »

De Beers : un pas dans la bonne direction

Les contrats d’approvisionnement actuels de De Beers et d’ALROSA expirent à la fin de cette année. Les miniers sont ainsi incités à repenser leur mode de fonctionnement. De Beers a anticipé, en dévoilant des projets d’accords commerciaux séparés pour les fabricants et les négociants à partir de 2021, dans le cadre desquels elle offrira à chacun des marchandises plus adaptées. Bien qu’elle n’ait pas répondu à une demande de commentaires à l’heure où nous rédigeons, De Beers avait affirmé début août qu’elle préparait une technologie destinée à améliorer le tri et à l’aider à attribuer des marchandises aux sightholders avec plus d’efficacité.

L’une des concessions actuelles de De Beers, connue sous le nom de programme de rachat, tire parti de la volonté des sightholders de disposer d’un meilleur assortiment de produits pour améliorer les marges. Le mécanisme permet aux clients de sélectionner une part des diamants qu’ils ont achetés et de la revendre au minier à bon prix, ce qui leur permet de ne conserver que le brut plus rentable. La société a permis d’appliquer ce système pour jusqu’à 30 % des achats lors de la période de la Covid-19, au lieu des 10 % habituels – ce qui a pour principale conséquence de réduire le prix global d’une boîte. Le système a été particulièrement important lors de la crise, puisque De Beers, comme ALROSA, a maintenu des prix élevés.

« Ils proposent davantage de rachats dans les périodes de détresse absolue, lorsqu’ils ne veulent pas annoncer de baisse de prix car cela est mauvais pour le marché », a récemment déclaré un autre sightholder.

ALROSA : rattraper le retard

De Beers est plus avancée qu’ALROSA en matière de personnalisation, expliquent les clients, principalement parce que la société existe depuis plus longtemps, dispose de processus de tri plus avancés et profite d’une plus grande indépendance par rapport aux gouvernements. Les sightholders ont pu acheter des boîtes sur-mesure à De Beers pendant quelques années, même si cela n’a pas fait taire toutes les récriminations.

Les clients sous contrat d’ALROSA sont moins satisfaits de l’approche relativement inflexible du minier russe. Les autorités russes appliquent un contrôle assez important sur ses méthodes de tri et doivent approuver tout changement important, a récemment souligné une source connaissant la société.

Avant de vendre, De Beers assemble la majeure partie de ses diamants issus des quatre pays dans lesquels elle est présente (Botswana, Afrique du Sud, Namibie et Canada). Au contraire, ALROSA pratique moins d’assemblage, ce qui l’empêche de personnaliser les attributions. En outre, il en résulte parfois des plis réduits, hétérogènes et impossibles à commercialiser, d’après un négociant qui achète à la société russe.

ALROSA prévoit de créer une division chargée d’améliorer la personnalisation et a évoqué des solutions avec ses clients, a déclaré son PDG adjoint, Evgeny Agureev, au cours de la semaine du 3 août, bien qu’il ait estimé que la faiblesse de la demande des consommateurs était le problème numéro un pour les clients à l’heure actuelle. Comme la pandémie de coronavirus limite les activités commerciales, le changement prendra du temps, a-t-il averti.

« Nous devons également apporter des changements au niveau du tri. Pour cela, nous devons pouvoir travailler dans des conditions normales, a-t-il établi. Pour l’instant, nous devons respecter toutes les règles de distanciation sociale et il n’est pas facile, en parallèle, d’entamer une réorganisation. »

Source Rapaport