Ce que le marché de l’avocat peut enseigner au marché diamantaire

Joshua Freedman

Le marketing générique a fait des merveilles pour ce fruit vert. Quels sont les obstacles qui empêchent le marché diamantaire de créer des campagnes similaires ?

Lorsque les membres de la génération Y se préparent une tartine à l’avocat, ils ne réalisent probablement pas qu’ils sont sous l’effet d’une campagne marketing réussie, démarrée il y a plusieurs dizaines d’années. Les ventes et les prix de ce fruit vert onctueux bondissent depuis les années 90, grâce aux efforts subtils de producteurs qui souhaitent repositionner ce fuit, autrefois impopulaire, comme un aliment sain et tendance.

L’industrie diamantaire a fait l’inverse. Son admirable slogan publicitaire, produit par De Beers, « A Diamond Is Forever », a soutenu le marché pendant près de 60 ans, jusqu’à ce que le minier se retire du marketing générique en 2008. Depuis, les importations nettes de diamants aux États-Unis ont chuté, passant de 7,15 milliards de dollars en 2007 à 3,96 milliards de dollars en 2018, d’après des données du gouvernement. L’indice RapNet (RAPI™) pour le taillé de 1 carat a perdu 17,7 % sur les dix dernières années. 

Le marketing des diamants implique certains aspects qui ne s’appliquent peut-être pas aux fournisseurs de guacamole. Une bague de fiançailles est un achat très rare qui peut coûter jusqu’à plusieurs milliers de dollars. Mais l’essor de l’avocat montre que le marketing générique peut être efficace pour inciter les clients à acheter un article discrétionnaire, explique Anish Aggarwal, associé et cofondateur du cabinet de conseil diamantaire anversois, Gemdax. 

« Il y a quinze ans, une tartine à l’avocat ne signifiait pas grand-chose, fait remarquer Anish Aggarwal. Aujourd’hui, l’idée de manger un avocat ou une tartine à l’avocat est quasiment devenue culturelle. C’est un exemple dont nous pouvons nous inspirer dans l’industrie diamantaire : comment raconter des histoires positives – dans le cas des avocats, en termes de santé – et comment faire le lien avec un changement de style de vie et un changement générationnel. » 

Ces mêmes objectifs — associer une idée positive à un produit pour le rendre désirable — sont à l’ordre du jour de l’industrie diamantaire. Mais le secteur ne compte plus les obstacles à surmonter pour y parvenir. 

Davantage de liquidités



La première difficulté concerne l’argent. Faire de la publicité devient de plus en plus cher car les sociétés doivent produire beaucoup de contenu, dans l’espoir qu’il en restera quelque chose dans l’esprit distrait des consommateurs, explique Ben Smithee, PDG de l’agence de marketing numérique à New York, The Smithee Group. 

Lorsque la société de Ben Smithee s’est lancée sur les réseaux sociaux il y a presque dix ans, elle a voulu présenter son contenu à des clients trois à quatre fois par semaine, se rappelle-t-il. « Aujourd’hui, notre mesure idéale serait de pouvoir passer à six, huit ou dix fois, car cela équivaut à deux ou trois vrais engagements. » 

En même temps, les grands noms de l’industrie considèrent que les liquidités injectées dans le marketing sont insuffisantes. La Diamond Producers Association (DPA) – un organisme-cadre créé en 2015 pour promouvoir les pierres naturelles – obtient son financement de De Beers, d’ALROSA et d’autres grandes sociétés minières. En 2019, elle disposait de 70 millions à 75 millions de dollars, contre 6 millions de dollars en 2016. Mais le marché a besoin de bien plus, d’après Martin Rapaport, président de Rapaport Group, qui a défendu un budget de 1 milliard de dollars dans son discours de juin 2019 au salon JCK Las Vegas. 

Unité des objectifs



Même avec de l’argent, diffuser un message unique est plus difficile qu’avant en raison de la fragmentation actuelle des médias, fait remarquer Elle Hill, PDG du cabinet de conseil sur les bijoux Hill & Co.

« À l’époque, lorsque De Beers gérait A Diamond Is Forever, il existait bien moins de moyens de communication avec le public. Les prix étaient beaucoup plus abordables », explique Elle Hill. Comme les consommateurs acquièrent près de 80 % de leurs connaissances sur Internet, le marketing numérique est à la fois essentiel et difficile à réaliser si l’on n’a pas un portefeuille bien rempli et des compétences précises, explique-t-elle. 

« C’est une erreur de penser que nous devrions reproduire ce qui fonctionnait par le passé », poursuit Elle Hill, reconnaissant que la publicité doit cibler des groupes spécifiques, puisque les consommateurs sont aussi plus axés sur les marques.

En effet, une grande part de la pression qui pèse sur le marché diamantaire concerne le segment des articles sans marques, d’après Olya Linde, associée chez Bain & Company et auteur du rapport annuel du cabinet de conseil sur l’industrie diamantaire. Les marques haut-de-gamme ne représentent environ que 15 % à 20 % des ventes mondiales de diamants mais ont fait mieux que le reste du marché, fait-elle remarquer. Des sociétés comme LVMH – propriétaire de Bvlgari – et Richemont, la société-mère de Cartier et Van Cleef & Arpels, enregistrent régulièrement une forte croissance des ventes de bijoux.

« Le segment des marques est fortement soutenu par des campagnes marketing et la volonté d’acheter tient non seulement à la taille de la pierre mais également au design, explique Olya Linde. Les données montrent que la joaillerie de marque a connu une progression à deux chiffres, contrairement au reste du marché. »

Un manque de savoir-faire


S’ajoute à cette difficulté le fait que de vastes parties de l’industrie diamantaire n’ont que peu d’expérience dans le marketing et restent souvent sur leurs gardes. Rares sont les fabricants de taillé qui travaillent avec des agences de communication extérieures. De nombreux tailleurs exercent au sein d’entreprises familiales, dans lesquelles l’arbitrage consiste souvent à choisir entre dépenser de l’argent pour du marketing ou acheter une voiture pour le petit dernier. 

Cette réticence provient en partie de la mauvaise expérience qu’ont eues des sociétés de taille avec le programme des « Fournisseurs privilégiés » de De Beers dans les années 2000, lequel exigeait des sightholders qu’ils réalisent du marketing et s’associent à des marques de luxe afin de pouvoir recevoir du brut. 

Certes, le système des Fournisseurs privilégiés était en soi une bonne idée, mais il n’a pas fonctionné parce que la filière intermédiaire n’avait aucune expérience dans ce domaine, avance Peter Meeus, conseiller à la World Federation of Diamond Bourses (WFDB). Les sightholders y ont participé parce qu’ils pensaient que cela les aiderait à s’assurer un meilleur approvisionnement de brut auprès de De Beers, et non parce que cela stimulerait leurs ventes, a expliqué Peter Meeus. « Les gens sont devenus assez sceptiques. Beaucoup ont dépensé de grosses sommes pour tous ces programmes qui leur étaient imposés, pour finir par réaliser que cela ne leur correspondait pas et ils ont tout arrêté. »

Ben Smithee convient que la filière intermédiaire a pris ses distances après les Fournisseurs privilégiés. « Ils ont juré, après s’être fait avoir, qu’on ne les y reprendrait plus. L’intention n’était pas mauvaise, l’idée non plus. Mais des gens avaient l’obligation d’appliquer un concept, alors qu’ils en étaient incapables. » 

Les négociants et fabricants auraient été plus avisés de financer le marketing des détaillants qu’ils fournissent, puisque ces sociétés sont mieux à même d’analyser les données de consommation et de traiter efficacement avec les acheteurs, a avancé Elle Hill. En échange du financement, les détaillants auraient mis en évidence les marchandises du fournisseur dans leurs publicités. « Je ne pense pas que la chaîne d’approvisionnement dispose des compétences nécessaires pour s’attaquer au marketing. Les gens considèrent toujours qu’il suffit d’utiliser quelques mots-clés pour que le tour soit joué, précise Elle Hill. C’est pourtant bien plus complexe que cela. »

Il existe également un manque de transparence, bien connu sur le marché diamantaire, qui pourrait freiner n’importe quel projet marketing, rappelle Ben Smithee. Cela provoque une certaine « tension entre ce qui doit être fait et ce que les gens sont prêts à faire, affirme-t-il. Les consommateurs recherchent plus de transparence, de bout en bout. Accéder à cette requête aidera à fournir une valeur ajoutée supérieure au consommateur, lequel se sentira davantage intégré au processus, ayant l’impression d’acheter plus intelligemment et plus éthiquement. »

Une approbation extérieure


La DPA sait que le changement pourrait être lent. « Il ne s’agit pas de viser les deux ou trois prochaines années. Nous cherchons à agir sur les 20 prochaines années, afin d’avoir un véritable impact sur l’industrie », a indiqué Jean-Marc Lieberherr, le PDG de l’organisation, dans un épisode de 2018 du podcast Rapaport Diamond

Mais il y a bien un aspect qui pourrait accélérer le processus : recruter un influenceur connu pour se faire le défenseur de l’industrie, puisque les consommateurs attendent de plus en plus que les prétentions d’un vendeur soient corroborées par des tiers, affirme Elle Hill. Les publicités « Got Milk ?», diffusées dans les années 90 aux États-Unis, sont devenues légendaires, notamment parce qu’elles faisaient appel à des célébrités comme Jessica Alba et Elton John, fait-elle remarquer. 

« Il nous manque aujourd’hui un personnage emblématique représentant le monde du diamant », affirme Elle Hill. Recevoir l’agrément d’un activiste social respecté vis-à-vis des pratiques de l’industrie pourrait avoir un impact énorme, affirme-t-elle, en particulier dans la bataille contre les diamants synthétiques. 

Tout cela ferait naître une ambiance plus enthousiaste chez la génération Y.
Et même s’il existe des difficultés, les producteurs d’avocats ont montré qu’il était possible de les dépasser. 

Des efforts productifs

L’activité diamantaire aurait grand avantage à étudier les campagnes promotionnelles d’autres secteurs.
Les publicités « Got Milk? » du secteur laitier ont connu beaucoup de succès, même si des articles ont remis en question les résultats. Les récentes publicités pour les pistaches, diffusées à la télévision américaine, ont maintenant attiré l’attention du public sur cette noix à la mode. 

La croisade lancée pour défendre les avocats s’est révélée extrêmement efficace. Ce fruit était quasiment invendable pendant la majeure partie de XXe siècle car il n’est pas sucré, ne se cuisine pas bien, il est difficile à manipuler et n’est pas mûr lorsqu’on le cueille, d’après un article de 2015 dans The Atlantic. Dès les années 80, l’industrie l’a présenté comme un fruit sain, de luxe, exposé par M. Ripe Guy comme une mascotte attractive. Elle a également embauché du personnel pour distribuer du guacamole aux journalistes lors du Super Bowl. 

Et l’initiative a marché : en 2011, l’Américain moyen consommait 2 kg d’avocat, contre 500 grammes en 1989, d’après l’Agence américaine pour le développement international. 

« Les avocats ont fini par devenir un produit discrétionnaire, fait observer Anish Aggarwal à Gemdax. Si je me rends au café le plus proche, une tartine à l’avocat peut me coûter plus de 10 dollars. Si je fais cela deux ou trois fois par semaine, je pourrai bientôt m’acheter un bijou à la place. »

Bien entendu, les efforts ne sont pas toujours l’œuvre de toute une industrie : le fabricant de puces informatiques Intel a révolutionné les ventes de microprocesseurs dans les années 90 en subventionnant les publicités des fabricants d’ordinateurs, à condition qu’ils apposent l’étiquette « Intel Inside » sur leurs produits. Cette étiquette collée sur les PC apparaît désormais comme une garantie de qualité, reconnue quasiment partout dans le monde. Elle a propulsé le destin de la société alors que les ventes d’ordinateurs ralentissaient, explique Peter Meeus, de la World Federation of Diamond Bourses (WFDB). 

La WFDB a lancé la World Diamond Mark (WDM) en 2012, dans l’espoir d’obtenir les mêmes résultats qu’Intel Inside. Mais la WDM n’a pas connu le succès sous sa forme initiale et est actuellement suspendue, d’après Peter Meeus, qui a repris le poste de président de la marque en 2018. Il considère toujours que ce type de branding doit être l’ambition de l’industrie, car il fournirait une preuve de qualité et d’origine naturelle. « Ces caractères distinctifs existent et je pense qu’ils vont finir par être nécessaires, pour renforcer la crédibilité des détaillants et des négociants auprès des consommateurs », explique Peter Meeus. 

Et même si les autres secteurs ne sont pas parfaitement comparables à celui des diamants, il peut être utile de considérer leurs modes d’innovation, explique Anish Aggarwal. « En tant qu’industrie, ce que nous devons apprendre des autres secteurs, c’est ce qu’ils ont réussi. »

Source Rapaport


Photo © Rapaport, DR.