Analyse : La situation de l’industrie diamantaire

Danielle Max

New York – Bien qu’il n’existe aucune façon de connaître le nombre de diamants de laboratoire non déclarés en circulation, l’analyste Chaim Even-Zohar estime qu’environ 750 millions de dollars de diamants artificiels de qualité sont entrés dans la chaîne d’approvisionnement en 2016.[:]
Il parle d’un volume « stupéfiant » de mêlé de laboratoire non déclaré (les diamants allant de 0,001 carat à 0,18 carat, utilisés dans tous les types de bijoux) qui entre sur le marché.

D’autres considèrent également que la découverte de pierres de laboratoire non déclarées devient très probable dans la filière.

« Au vu de notre expérience lors des tests de bijoux et de plis, nous estimons que le risque de découvrir des synthétiques dans la chaîne d’approvisionnement est raisonnablement élevé en ce moment », déclare Tom Moses, vice-président exécutif et directeur du laboratoire et de la recherche au Gemological Institute of America.
Si un seul client de grande notoriété découvrait que la bague très chère pour laquelle il a économisé contient un diamant de laboratoire non déclaré, cela pourrait avoir d’importantes conséquences sur la confiance des consommateurs, dans une industrie qui éprouve déjà des difficultés pour plaire à la génération Y.

Et cela risque d’arriver prochainement. En fait, c’est probablement déjà arrivé.

David Skuza, de DRC Techno, une société de recherche et développement gemmologique installée à Surat, en Inde, et créée par le sightholder Dharmanandan Diamonds, affirme que tous les clients qui ont utilisé la machine J-Secure Plus de la société ont découvert des diamants de laboratoire non déclarés.

Un client a récemment testé un bracelet composé de diamants fantaisie, rondes et baguettes. Il a découvert que les baguettes étaient des diamants de laboratoire, ce qui l’a fortement surpris.

« Chaque détaillant, fabricant, grossiste ou société diamantaire qui a testé ou acheté notre machine découvre des diamants de laboratoire non déclarés. Haut de gamme, marché de grande consommation, cela ne fait aucune différence. La contamination est partout. »

Et des exemples de cette « contamination », il en a une liste interminable.

Il y a par exemple ce laboratoire de gemmologie que David Skuza ne souhaite pas nommer pour des raisons de confidentialité, qui effectue des contrôles qualité sur plus de 1 000 pierres par semaine pour un grand revendeur. Il n’est pas rare qu’il découvre plus de 5 % de diamants artificiels non déclarés.

Il cite également le cas d’un client qui, testant un pli de 5 carats de diamants de 0,02 carat lors du récent salon JCK Las Vegas, a découvert que près de 75 % des diamants qu’il venait d’acheter étaient artificiels.

Agir

Même si la lutte contre les diamants de laboratoire non déclarés ressemble un peu à celle contre le terrorisme – ceux qui veulent le chaos ont toujours un temps d’avance sur ceux qui cherchent à le contenir –, l’industrie est loin d’être impuissante.

Les fabricants et les négociants doivent employer tous les moyens à leur disposition pour endiguer le flux des pierres de laboratoire non déclarées, plus en aval dans la chaîne d’approvisionnement. Mais les détaillants doivent également jouer leur rôle pour empêcher que ces pierres ne finissent dans les mains de consommateurs peu suspicieux.

Jonathan Kendall, président de l’International Institute of Diamond Grading & Research (IIDGR), une société de De Beers Group, affirme que le premier conseil à donner aux détaillants qui pensent avoir reçu des diamants de laboratoire non déclarés est de ne pas paniquer.

Le deuxième est de contrôler les protections disponibles pour les produits qu’ils vendent en sachant que « chaque entreprise est responsable de l’intégrité de ses marchandises. »

Les détaillants peuvent essayer de s’assurer que tous les diamants qu’ils achètent et vendent sont assortis d’un rapport de certification objectif. Or, tous n’ont pas de rapports de certification. Dans de tels cas, ils peuvent adresser leurs stocks à l’un des grands laboratoires pour le faire tester. Bien sûr, cela peut grever les budgets – que ce soit pour le test ou les frais administratifs qui y sont liés – et ajouter au temps passé, ce qui représente une vraie contrainte pour les petites entreprises notamment.

Une autre solution consiste à investir dans l’une des machines de détection destinées aux détaillants et qui permettent aux joailliers de tester leurs stocks, y compris les bijoux sertis, en fonction des besoins et en flux tendus.

Le HRD Antwerp produit la D-Screen, une machine portative qui sépare les pierres de laboratoire des diamants naturels. La machine peut également déterminer si une pierre a subi un traitement sous haute pression et haute température (HPHT) pour améliorer ou exacerber sa couleur.

La D-Screen peut analyser toutes les tailles de diamants et jusqu’à 200 pierres par heure, entre 0,2 carat et 10 carats en couleurs D à J, avec des résultats immédiats.

L’IIDGR vient juste de sortir la SYNTHdetect. Conçue pour un usage en back-office par des fabricants et détaillants de bijoux, la SYNTHdetect (ainsi que la deuxième version de l’AMS2, un détecteur de mêlé automatisé du laboratoire) identifie les diamants naturels, au lieu de chercher des signes d’une origine artificielle. Ceci, affirme Jonathan Kendall, représente « un véritable pas en avant en termes de technologie ».

L’IIDGR affirme avoir le taux de reports le plus faible de l’industrie, à près de 0,05 %, contre près de 10 % pour d’autres machines de détection. Le taux de reports concerne les cas où la machine n’arrive pas à vérifier à 100 % l’origine naturelle de la pierre, laquelle doit donc être envoyée à un laboratoire de gemmologie pour être davantage testée. Le faible taux de reports de la SYNTHdetect doit pouvoir faire gagner du temps et de l’argent aux détaillants.

L’IIDGR propose également la PhosView, moins chère (4 500 dollars contre 16 250 dollars pour la SYNTHdetect). Cette machine plus basique analyse les plis de taillé pour déterminer s’ils contiennent des diamants HPHT uniquement.

Le GIA prend déjà les commandes pour la GIA iD100, une machine de bureau qui sera bientôt disponible, facile à utiliser et qui identifie les diamants incolores naturels, sertis ou non.

L’appareil associe une technologie spectroscopique avancée aux vastes recherches du GIA en matière de diamants naturels et artificiels afin de découvrir tous les diamants de laboratoire – fabriqués avec les processus HPHT et de dépôt chimique en phase vapeur (CVD) –, ainsi que toutes les imitations. Le laboratoire mène d’autres recherches en vue d’étendre les capacités de l’appareil pour identifier des diamants roses et d’autres pierres.

Enfin, la J-Screen Plus de DRC Techno identifie les diamants de laboratoire CVD et HPHT et peut être utilisée sur des pierres serties ou non, dès 0,003 carat, quelle que soit la taille. Les résultats, simples à comprendre, permettent à quiconque n’ayant pas de formation en gemmologie d’effectuer le test.

La société commercialise également la D-Screen Plus qui traite les diamants de laboratoire HPHT et CVD incolores ou quasi-incolores de toutes tailles et grosseurs, entre 0,003 carat et 10 carats (avec certaines pièces mécaniques complémentaires, la machine peut détecter des pierres plus grosses et des tailles fantaisie.) Bien qu’elle soit principalement destinée aux pierres seules, la D-Screen Plus peut également scanner des bijoux sertis, à condition que les diamants soient visibles.

Mêlé sur mêlé

Bien que les détaillants puissent vérifier de plus grosses pierres et de petites quantités de mêlé, l’analyse de grandes quantités de pierres minuscules nécessite un équipement plus spécialisé.

Pour un test automatique du mêlé, le HRD Antwerp possède la M-Screen. Cet appareil automatisé et ultrarapide analyse les diamants ronds taille brillant entre 0,5 point et 20 points afin de découvrir d’éventuelles pierres de laboratoire, d’éventuelles pierres dont la couleur a été améliorée ou traitées par HPHT et les imitations. Développée par le WTOCD, le centre de recherche scientifique anversois pour les diamants, elle intègre, analyse et trie au moins trois diamants à la seconde, soit 11 000 diamants par heure. Selon la grosseur des pierres et du lot, la machine peut trier le chiffre exceptionnel de 15 000 diamants par heure.

Plus tôt cette année, l’IIDGR a lancé l’AMS2, la deuxième génération de sa machine de détection automatisée du mêlé. Celle-ci est jusqu’à 10 fois plus rapide que la première machine de détection du mêlé de la société et affiche un taux de reports sensiblement inférieur. Cela réduit la nécessité d’effectuer des tests secondaires onéreux. Affichée à 45 000 dollars, elle est principalement destinée à ceux qui travaillent dans le commerce de taillé plutôt qu’aux détaillants.

Les détaillants qui traitent de grosses quantités de mêlé peuvent faire parvenir leurs plis aux laboratoires pour les faire tester s’ils doutent de leurs achats.

Et si leurs plis reviennent avec la mention « Contient des diamants de laboratoire », qu’ils ne soient pas surpris.

Plus tôt cette année, par exemple, le laboratoire du GIA à Mumbai a signalé que près d’un tiers d’un pli de mêlé, analysé par son Service d’analyse des diamants, était constitué de diamants de laboratoire non déclarés. Autrement dit, 101 diamants sur les 323 présentés étaient artificiels.

Un autre fabricant d’équipements, Diamond Services, dont le siège est situé à Hong Kong, a récemment annoncé que son laboratoire de New York avait détecté plusieurs diamants de laboratoire de taille simple, entre 0,0025 carat et 0,005 carat, sertis sur des bijoux. (Les tailles simples ont de 16 à 18 facettes contre 57 ou 58 facettes pour une taille pleine.)

« Pour autant que je sache, c’est la première fois qu’une pierre synthétique de taille simple est détectée sertie sur un bijou, a déclaré Joseph Kuzi, créateur et directeur général de Diamond Services, dans un communiqué de presse. Cela signifie qu’aucun diamant quasiment ne peut être estimé à sa valeur nominale. »

Des raisons d’espérer

Même si le nombre de diamants de laboratoire non déclarés qui sont découverts est perturbant, l’industrie semble engager les mesures adéquates pour s’assurer que les consommateurs aient bien les produits qu’ils veulent, des diamants de laboratoire ou des diamants naturels.

Selon Tom Moses, l’utilisation et la commercialisation de diamants de laboratoire obligent encore davantage à les identifier et à les déclarer avec exactitude, afin que les acheteurs se décident en toute connaissance de cause.

Jonathan Kendall en convient. « Il faut également tenir compte de la pression supplémentaire apportée par des consommateurs de mieux en mieux informés sur le sujet des synthétiques non déclarés. C’est pourquoi les tests sont si importants : toutes les entreprises ont intérêt à pouvoir apporter un tel niveau de garantie et de confiance. Comme la génération Y exige de plus en plus d’informations sur les produits, ce besoin de leur fournir des garanties ne va faire que croître. »

Et l’Inde est un pays qui fait progresser cette nécessité de garanties.

Praveenshankar Pandya, le président du conseil du Gem and Jewellery Export Promotion Council (GJEPC) indien, a récemment annoncé la création d’un Comité international de surveillance des diamants afin d’éliminer l’infiltration dans la chaîne d’approvisionnement des diamants de laboratoire non déclarés. Le GJEPC se propose de financer la moitié du coût des machines de détection pour ses membres afin de les aider à réduire le nombre de pierres artificielles non déclarées qui circulent dans la filière.

Et même s’il n’existe aucun moyen d’empêcher l’entrée de tous les diamants de laboratoire non déclarés, le fait qu’autant d’entreprises investissent dans une machine de détection est source d’optimisme.

Mais il est aussi important de ne pas céder à l’auto-congratulation. La bataille contre les diamants artificiels non déclarés continuera de faire rage tant que les fabricants trouveront de nouvelles façons d’améliorer la production et que des acteurs peu scrupuleux voudront compromettre l’intégrité de l’industrie.

Source National Jeweler