Aller au front au nom des autres

Edahn Golan

Un nouveau jeu de stratégie de Nintendo va bientôt sortir. Il reprend les codes habituels du genre : un environnement assez réaliste, une série d’activités qui vous permettront d’asseoir votre position et des comportements inacceptables dans le monde réel. Comme beaucoup d’autres jeux, « Diamond Trust of London » s’appuie sur les stéréotypes actuels et les renforce. Contrairement à la plupart des autres jeux du genre, celui-ci fait du tort à des personnes réelles et nuit à leur réputation. La semaine dernière, lors des premières annonces sur le jeu, dans lequel il faut notamment corrompre des inspecteurs du diamant de l’ONU pour réussir, j’ignorais qu’il n’existait que deux inspecteurs de ce type dans l’Angola d’avant le KP, où se déroule le jeu.
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À l’époque, l’Angola était en plein chaos. Plusieurs sociétés, dont celle baptisée « Diamond Trust of London », étaient en activité dans le pays, achetant ou exploitant des diamants sur le front de la guerre civile.

Christine Gordon, l’un de ces deux inspecteurs, craint que les personnages fictifs du jeu et le décor réaliste ne donnent une mauvaise image des véritables « inspecteurs » du diamant de l’ONU. 

Le jeu soulève plusieurs questions sociales importantes. Certains des jeux vidéo les plus populaires de ces 20 dernières années mettent en scène des massacres, de la violence, des vols de voitures et d’autres comportements sociaux inacceptables. 

Certaines recherches affirment que ces jeux, tout comme les programmes télévisés et les films, encouragent la violence. Or, d’après les idées reçues, cela n’est vrai qu’en marge de la société, là où il existe déjà une certaine tendance à la violence. 

À cela vient s’ajouter la question du goût, qui se mesure sur un autre registre. Devons-nous permettre la sortie de ces jeux au nom de la liberté d’expression (ou du divertissement), et pourtant les refuser aux motifs que nous n’avons pas tous le même point de vue sur les comportements acceptables ? 

Christine Gordon a travaillé en Angola pendant la guerre civile. Elle a décidé d’y rester, estimant qu’il était de son devoir d’affronter le danger. Elle est restée là-bas pour nous représenter, nous, l’humanité dans son ensemble. Indirectement, elle représente aussi la communauté du diamant. Nous avons une dette envers elle et envers ses collègues qui ont tenu le coup au nom d’une cause supérieure.

Christine Gordon m’a écrit dans un e-mail : « Mon activité dépend de ma réputation, celle-ci est donc précieuse pour moi. » Voilà pourquoi le jeu peut lui nuire. Elle s’exprime en notre nom à tous.

La réputation de la communauté du diamant est à la base de son activité, elle a donc de la valeur. Et une grande valeur. Selon un dicton juif : « Une bonne réputation vaut mieux qu’un bon parfum. » Comprenez : la réputation est plus importante que les biens de valeur. 

Christine Gordon mérite bien plus que notre simple gratitude, même si j’ai l’impression que c’est une personne humble, qui n’attend pas nos remerciements. Elle mérite notre protection. Nous n’avons pas besoin d’exiger que le jeu ne sorte pas. Mais nous devons exprimer notre mépris pour la glorification d’actes qui nuisent à des personnes réelles qui ont agi courageusement et honnêtement en notre nom.

Source Idexonline