Crise diamantaire à l’horizon ?

Laurence Sereste

Des événements perturbants seraient en train de déstabiliser le marché diamantaire, tant sur le plan local qu’international. Il se passe des choses dans l’industrie. [:]Le Botswana pourrait être confronté à des suppressions de postes massives, à un effondrement de l’activité de valorisation et à un ébranlement de l’économie diamantaire, les sightholders étant occupés à licencier et à fermer des usines dans le pays.

Teemane Manufacturing Co., qui exerçait au Botswana depuis plus de 20 ans et employait 320 personnes, a fermé le mois dernier. En décembre 2014, Life Diamonds Botswana a également cessé ses activités alors que Moti Ganz licenciait près de 100 personnes.

Des informations communiquées à The Botswana Gazette par un employé de la direction indiquent que SAFDICO s’est séparée d’un grand nombre d’employés, tandis que le personnel de Laurelton Diamonds a été mis en congé forcé, la société se préparant à un possible repli.

« Bien entendu, nous licencions mais je ne suis pas en mesure de confirmer si SAFDICO va fermer ou non, a-t-il indiqué. On nous a dit que la société subissait des pressions pour acheter et vendre du brut et, comme vous le voyez, cela ne profite à aucun d’entre nous. »

Shy Franco, le directeur de la production de SAFDICO, a refusé de confirmer ou d’infirmer les licenciements et le fait que la société pourrait fermer des activités. « Je ne suis pas en mesure de le confirmer par téléphone, adressez-nous une demande écrite », a-t-il ajouté.

Il se murmure également que Shrenuj & Co, Julius Klein Diamonds et Pluczenik Diamond Co ressentent les difficultés et se préparent à une restructuration, au terme de laquelle ces sightholders pourraient licencier ou fermer boutique. The Botswana Gazette n’a pas pu confirmer ces informations mais une source chez Laurelton a démenti les licenciements.

Une source de l’industrie a révélé que la combinaison entre les prix élevés du brut et les contraintes induites par le marché sur l’activité de la taille au Botswana avait déclenché ces compressions ; avec les faibles prix du taillé, davantage de sightholders pourraient faire leurs cartons.

Le rapport Rough Diamond Paradox a expliqué en détail que les prix du brut augmentent constamment depuis cinq ans, tandis que le taillé connaît une chute importante. Cela a empêché les petits diamantaires, les joailliers et d’autres détaillants de vider leurs vitrines, et ce malgré la forte demande de brut et de taillé.

Les sightholders subissent des pertes, chose dont peuvent témoigner les diamantaires indiens qui fuient les sights depuis décembre 2014.

Roman Grynberg, un expert de l’industrie, craint qu’un maintien du statu quo en matière de tarifs et de productivité amène les sightholders à abandonner le Botswana et à intégrer l’industrie des synthétiques, des articles moins chers et en plein essor.

D’autres analystes interrogés ont admis que, si le gouvernement ne parvient pas à convaincre la De Beers de stabiliser les prix du brut, le marché se tournera vers la Russie pour obtenir des pierres à un meilleur tarif.

Récemment, le président russe Vladimir Poutine, en quête désespérée de liquidités dans un pays sanctionné et à court d’argent, a signé un protocole d’entente avec Narendra Modi, le premier ministre indien, pour des importations directes de brut à des prix favorables.

L’Inde, le plus grand tailleur au monde, cherche à contourner les négociants traditionnels et à acheter directement aux miniers. Les analystes craignent que cela ne permette à ALROSA, dont les tarifs sont inférieurs, d’attirer les sightholders qui ferment boutique au Botswana.

Les changements considérables dans l’industrie minent la promesse initiale faite aux sightholders et aux acteurs de l’industrie dans l’ensemble, promesse selon laquelle le déménagement au Botswana offrirait davantage d’opportunités à l’industrie.

Des profits pour la De Beers uniquement ?

Au dernier trimestre 2014, la De Beers a fait grimper les prix dans toutes les catégories jusqu’à 7 %, bien que certains affirment que la hausse ait pu aller jusqu’à 20 %. Aucun des acteurs de l’industrie n’a pu indiquer de chiffre exact et le doute continue de planer sur ces progressions.

C’est dans ce contexte que la De Beers aurait déclaré des bénéfices record, d’environ 1,4 milliard de dollars, soit une hausse de 36 % par rapport aux bénéfices de 2013. Simultanément, un nombre important de sightholders aurait subi des pertes.

Des sightholders, qui ont tenu à rester anonymes de peur de compromettre leur accès au brut, ont protesté après les hausses de prix. Ces petites sociétés diamantaires s’échinent à rembourser des crédits impayés aux banques.

La plupart des sociétés sont allées au Botswana pour y installer des usines car il leur était nécessaire de s’assurer une offre de brut. La vente était conditionnée au fait que 25 % de toutes les transactions soient taillés sur place.

« Après tout, nous dépensons plus pour transformer nos diamants ici qu’en Inde, en Israël ou dans d’autres endroits car la productivité et les prix ont été relevés », a expliqué un sightholder qui a préféré rester anonyme.

David Johnson, le directeur des communications pour le secteur intermédiaire de la De Beers, réfute toute augmentation de prix mais indique qu’avec les bénéfices impressionnants que la société réalise actuellement, près de 3 milliards de dollars ont été réinvestis pour l’expansion des mines de Jwaneng Cut 8 et de Venetia en Afrique du Sud.

« Je suis d’accord avec vous, le dernier trimestre 2013 a été trop dur pour l’industrie mais la demande mondiale a progressé : vous pouvez voir que la majeure partie de nos bénéfices retourne toujours dans la chaîne de valeur. »

David Johnson a admis que de nombreux sightholders pourraient actuellement mettre un terme à leurs activités mais que d’autres allaient arriver et s’établir au Botswana car les prix ont été ajustés à la baisse cette année.

Martin Rapaport, un expert de l’industrie, a également indiqué, dans l’édition de janvier de Rapaport, que la De Beers avait commencé à baisser les prix du brut, les sightholders ayant reporté 20 % à 25 % de leurs achats au Botswana. Il semblerait que les questions des liquidités et des prix du brut devraient revenir hanter l’industrie pendant une grande partie de l’année 2015.

Actuellement, la demande de brut progresse en Inde et en Chine mais l’offre est en recul.

Roman Grynberg, un expert de l’industrie, a affirmé qu’il était temps que la De Beers admette qu’elle est victime de son propre succès. Ses bénéfices avant impôts ont doublé au cours de cette récession alors que les sightholders subissaient des pertes, a-t-il affirmé. « La De Beers est la pépite du portefeuille d’Anglo, alors que tout le reste, comme le cuivre et l’or, traverse une sale période en raison des faibles prix », a-t-il ajouté.

« Les prix des diamants continuent à grimper, ils ont actuellement dépassé le plafond alors que toutes les autres matières premières extraites de mines sont à un niveau plancher et c’est désastreux. Nous avons créé un système dans lequel les diamantaires peuvent acheter des diamants sans avoir à ouvrir d’usine au Botswana et à participer à la valorisation et ils ont la possibilité de nous écraser lorsque les prix ne sont pas favorables à leur modèle d’activité », a expliqué Roman Grynberg.

Roman Grynberg a expliqué en détails un processus grâce auquel les sightholders se voient présenter un choix extrêmement varié pour leurs achats de brut, dans cinq boîtes différentes, pendant les ventes de la DTC : la boîte du Botswana, la boîte d’Afrique du Sud, la boîte de Namibie, la boîte du Canada et la boîte internationale, anciennement boîte de Londres. Il explique qu’en observant la boîte internationale, composée de gros morceaux de diamants d’Afrique du Sud et qui peut être envoyée n’importe où dans le monde pour être transformée, les fabricants locaux, dont beaucoup ont accès à une boîte de Londres, peuvent simplement fermer leurs usines au Botswana, perdre l’accès à leur boîte du Botswana mais continuer à produire en Inde ou en Chine.

« Ils n’ont absolument aucun moyen de rester si les prix augmentent, un facteur qui viendra se surajouter à des frais de taille importants au Botswana ; il est commercialement logique que les sightholders s’en aillent », a-t-il ajouté.

On estime que la taille coûte de 12 à 25 dollars par carat en Inde, de 20 à 30 dollars par carat en Chine, alors qu’au Botswana, les chiffres sont compris entre 60 et 65 dollars par carat.

Les banques se retirent des diamants

Plusieurs grandes banques se seraient retirées du financement des sociétés diamantaires, preuve que l’environnement commercial actuel n’est pas rentable pour les fabricants. La De Beers leur vend du brut à des prix injustifiables en termes de rentabilité et, sur le marché du taillé, les tarifs baissent régulièrement. L’appréhension la plus forte a peut-être été la fermeture des opérations d’ABN Amro au Botswana. La banque néerlandaise finance l’industrie depuis longtemps et c’est peut-être le plus gros financier du marché diamantaire mondial.

« Quand on regarde les tendances actuelles du marché des diamants, les banques ne peuvent absolument pas prêter de l’argent à ces entreprises. Comment pourraient-elles rembourser alors que la De Beers fait pression sur elles », a expliqué un expert de l’industrie.

Même si d’autres banques se retirent, Barclay Bank Plc serait sur le point de profiter de l’opportunité pour financer des diamantaires de manière rigoureuse. D’après David Johnson, la De Beers continue de croire que le marché ne s’effondrera pas, même si certains sightholders vont chercher des opportunités en Russie et dans d’autres pays.

« De nombreuses opérations s’arrêtent mais la demande est toujours forte et nous constatons beaucoup d’opportunités et d’expansions à venir. »

Des sources affirment que si le gouvernement du Botswana ne parvenait pas à contenir les problèmes de prix, le pays pourrait être en passe de rater l’opportunité de la valorisation pour la deuxième fois depuis 1972, date de la première ouverture des mines.


Source Botswana Gazette