8 raisons pour lesquelles l’industrie a besoin d’une chaîne de contrôle

Rob Bates

Lors de la récente Assemblée des Présidents, Ernest Blom, le président de la World Federation of Diamond Bourses (WFDB), a mentionné une chose notable: « Si les clients vérifient la provenance de leurs fruits et légumes, de leur thé et de leur café, soyez certains [qu’ils feront de même] lorsqu’ils achèteront un bijou en diamants qui coûte des milliers de fois plus cher. »[:]

La WFDB est généralement considérée comme le plus conservateur des groupes diamantaires. Ses remarques semblaient donc importantes, notamment parce qu’elles admettent implicitement une chaîne de contrôle. Lorsque je l’ai interrogé sur le sujet par la suite, il ne pensait pas qu’il s’agissait d’un virage important mais il a remarqué que l’industrie doit évoluer dans ce nouvel environnement de consommateurs.

Et il a raison. Les hommes d’affaires avisés prennent le monde tel qu’il est, non pas tel qu’ils voudraient qu’il soit. Ils considèrent également nécessaire de minimiser les risques. Je le dis depuis longtemps, l’industrie sera confrontée à des problèmes graves si elle ne parvient pas à mieux contrôler sa chaîne d’approvisionnement. Voici certaines des raisons pour lesquelles ce sujet est si important.

1. Ces problèmes ne vont pas disparaître.

Les bijoux sont désormais soumis à la réglementation du gouvernement : diamants du conflit, rubis birmans, jade birmane, diamants du Zimbabwe, or du conflit, tungstène du conflit et ivoire.

Avant l’an 2000, ces questions n’étaient que rarement évoquées. Aujourd’hui, elles sont abordées quasiment chaque année. Le monde devient plus petit, les problèmes autrefois distants de l’Afrique et d’autres pays sont maintenant les nôtres. Attendez-vous à ce que ce rythme augmente encore.

Et cela ne concerne pas uniquement notre industrie. Rendez-vous sur Change.org, vous trouverez des pétitions sur d’innombrables sujets, allant du dentifrice aux tomates. Même Apple, le géant des technologies, a été obligé d’agir après des critiques de ses usines chinoises. Apple n’a peut-être pas perdu une seule vente en raison de cette controverse. Pourtant, la société la plus respectée, la plus puissante et la plus riche au monde a plié sous le poids de la pression sociale. Si Apple tient compte de ces questions, pourquoi devrions-nous les ignorer ? Notre industrie est bien plus vulnérable. Les gens considèrent qu’ils ne peuvent pas vivre sans produits Apple. Mais ils peuvent vivre sans diamants.

2. La génération Y se préoccupe de ces sujets.

On peut argumenter sur l’engagement de la génération Y face aux problèmes sociaux ; mais on ne peut pas appliquer une même caractéristique à 78 millions de personnes. Pourtant, la plupart des études ont montré que la génération Y prend ces questions bien plus au sérieux que la génération X et les baby-boomers.

Voici quelques statistiques :

– Un membre sur trois de la génération Y a déjà boycotté des sociétés pour des causes dans lesquelles il croit.

– 84 % affirment que la responsabilité sociale influence les lieux où ils font leurs achats.

– 48 % affirment qu’ils « tentent de favoriser les marques des sociétés qui agissent pour soutenir des causes sociales. »

– Trois sur quatre considèrent que les marques devraient « donner en retour » à la société plutôt que de se contenter de réaliser des bénéfices.

Et surtout, tout indique ue la Génération Z (le prochain groupe d’âge) est encore plus concerné par ces questions que la génération Y.

Comme l’indique le  Washington Post, pour la génération Y, la responsabilité sociale n’est plus une question facultative.

3. Responsabilité sociale = approvisionnement responsable.

Notre industrie a la chance de compter dans ses rangs de nombreuses sociétés généreuses et bienveillantes. Elles traitent bien les travailleurs et font don de sommes importantes aux œuvres de charité. Elles prennent la responsabilité d’entreprise très au sérieux.

Pourtant, si vous vendez des diamants déterrés par des esclaves  – comme l’étaient de nombreux diamants du conflit – ou si vous achetez des pierres produites dans des conditions de travail abusives – ce qui arrive encore –, peut-on dire que vous êtes une société responsable ? Tout le monde ne sera pas d’accord.

Aujourd’hui, être éthique, cela ne concerne pas uniquement la façon de vendre, mais aussi ce que l’on vend. 

4. Les jeunes consommateurs ont un avis mitigé sur les diamants.

Imaginez-vous être membre de la génération Y. Les aînés associaient les diamants à Elizabeth Taylor et aux publicités de la De Beers. Les consommateurs d’aujourd’hui pensent à Kim Kardashian et au film Blood Diamond.

Blood Diamond est sorti en 2006 mais il continue à être diffusé sur le câble et sur Netflix. À lui seul, il a popularisé le terme de « diamants du conflit ». Pour combien de produits de consommation, existe-t-il eu un blockbuster destiné à les mettre à mal ? Je ne connais aucun autre exemple.

Grâce à Internet, la génération Y (comme toutes les autres) dispose de possibilités d’achat illimitées. Il y a quelques années, les fiançailles s’accompagnaient de l’achat d’une bague en diamants, il n’y avait pas d’autre choix. Les consommateurs d’aujourd’hui peuvent acheter une bague sertie de pierres précieuses, une bague personnalisée excentrique ou rien du tout.

Nous devons donc non seulement donner aux consommateurs une raison d’acheter des diamants mais aussi nous assurer qu’ils ne s’en détournent pas. C’est actuellement le cas pour beaucoup.

5. La plupart des grosses sociétés répondent déjà à ce problème.

La marque Forevermark de la De Beers est estampillée « Approvisionnement responsable ». Le minier Dominion a fait renaître CanadaMark. Blue Nile vend des pierres de marque canadienne, mais pas parce que les consommateurs aiment les feuilles d’érable.

Le négociant en ligne Brilliant Earth, le fabricant de moissanite Charles & Colvard et quasiment tous les fabricants de diamants de laboratoire ont fait de la responsabilité sociale une partie intégrante de leur accroche commerciale. Toutes ces sociétés, ainsi que les trois programmes mentionnés précédemment, garantissent l’origine de leurs pierres au-delà du Kimberley Process. Certaines affirment même aux consommateurs que la certification du KP ne garantit pas le côté éthique d’une pierre. (Et elles marquent un point.)

Et même si Signet et Tiffany & Co. n’en font pas de publicité, toutes deux appliquent des contrôles plus stricts sur l’approvisionnement. En ce qui concerne les pierres de couleur, Gemfields vante régulièrement l’éthique de ces produits.

Ces sociétés ne sont pas folles. Elles ont lu dans le marc de café. Si certaines des plus grandes sociétés de l’industrie agissent de cette façon, pourquoi les autres ne suivent-elles pas ?

6. Il existe un risque de législation gouvernementale.

Il s’agit d’un problème encore plus important. Les consommateurs peuvent mettre à mal votre activité. Le gouvernement peut mettre à mal votre vie.

J’entends souvent dire « Personne ne s’intéresse à ces questions. Pourquoi devrions-nous y porter attention ? » Cela revient à dire « La police s’en fiche si j’enfreins la loi. Je ne vois pas pourquoi je devrais m’en soucier. » Mais s’ils changent d’avis, que Dieu vous aide. Lorsque vous vous retrouvez du mauvais côté de l’écran radar des autorités, ne vous attendez pas à ce qu’elles se montrent raisonnables, gentilles ou justes, ce ne sera pas le cas.

La loi Dodd-Frank de 2010 contenait une disposition qui exigeait des sociétés cotées qu’elles déclarent si elles vendaient ce que l’on appelle des minerais du conflit, dont l’or et le tungstène. Pour les ONG, cela a été une grande victoire. Elles n’ont pas eu besoin d’organiser des rassemblements, de programmer des conférences de presse ni de distribuer des prospectus. Une seule disposition, glissée furtivement par un législateur sympathisant, a réalisé bon nombre de leurs objectifs, quasiment en une nuit.

Les dispositions sont-elles faciles à respecter ? Non. Ceux qui les ont créées s’en préoccupent-ils ? Pas vraiment. Ils voulaient un meilleur contrôle de la chaîne d’approvisionnement, ils l’ont eu par décret fédéral. Cela sera sûrement désormais intégré à la stratégie des ONG. 

7. Il existe un risque de mise en application par le gouvernement.

L’année dernière, l’agent du FBI Eric Ives s’est plaint devant moi de la nature incontrôlée de l’industrie. « Lorsque vous vendez des diamants, vous ne savez pas toujours qui est à l’autre bout de la pierre, a-t-il déclaré. Il pourrait s’agir de Charles Taylor ou des Pink Panthers ou [du terroriste d’Al Qaïda] Mokhtar Belmokhtar. »

Eric Ives n’est pas une ONG de surveillance ; il a fait beaucoup pour notre marché. Mais il est l’un des nombreux fonctionnaires du gouvernement à penser que la filière diamantaire est un candidat de choix pour le blanchiment d’argent, notamment pour les terroristes (de nombreuses banques sont d’accord, c’est l’une des raisons pour lesquelles certaines ont quitté l’activité.)

Le gouvernement a indiqué à de nombreuses reprises qu’il entend mieux contrôler notre activité. Et il peut y parvenir sans légiférer. Des discussions ont envisagé d’étendre la section 1502 de la loi Dodd-Frank aux diamants, ce qui est bien conforme à ses dispositions.

Il y a également le problème des diamants de Marange. Ceux-ci sont actuellement illégaux aux États-Unis. Malgré des efforts dispersés pour les tenir éloignés des côtes du pays, il est inévitable que certains y soient vendus. Que se passerait-il si les fédéraux décidaient d’appliquer cette interdiction ? La plupart des négociants ou des détaillants peuvent-ils garantir que leurs stocks ne contiennent aucun diamant de Marange ? Si un seul négociant était arrêté pour avoir acheté des diamants de Marange, l’industrie pourrait fuir en un temps record, dans un mouvement de panique de masse. C’est peu probable, mais le risque existe.

8. N’oublions pas les diamants synthétiques et les traitements.

Des diamants de laboratoire ont été découverts à plusieurs reprises mélangés à des diamants naturels. Le GIA a récemment trouvé des pierres dont la couleur avait été améliorée par un traitement précédemment inconnu. Il est plus important que jamais de connaître ses fournisseurs, leur éthique et la provenance des produits.

En résumé, l’industrie a besoin de mieux contrôler sa chaîne d’approvisionnement. Cela ne sera pas facile ; sa structure est, on le sait, complexe, opaque et alambiquée. Nous ne voulons pas nuire aux petits professionnels, qui restent essentiels pour notre marché. Il est quasiment impossible, et trop cher, de suivre chaque pierre, en particulier les plus petites. Pourtant, nous pouvons faire mieux. Il faudra du temps et des efforts, mais nous devons essayer.

Le département d’État et les ONG ont déclaré qu’ils voulaient jouer un rôle constructif dans l’élaboration d’une solution, grâce à des forums comme le Sommet de l’industrie de la joaillerie et le Responsible Jewellery Council. (Malgré certains problèmes, je continue à soutenir le RJC.) Toute personne concernée par ces questions, et tout le monde devrait l’être, devrait étudier ces efforts et les initiatives associées.

Certains prétendent qu’il ne s’agit que de prétextes permettant aux grosses sociétés d’éliminer les petites. Cela n’a aucun sens. Si Signet voulait conclure un accord avec le gouvernement, elle le ferait en coulisses, non pas lors d’un sommet public. Les petites sociétés ne risquent d’être mises au ban du débat que si elles n’y participent pas.

L’industrie a aujourd’hui une opportunité – on peut même parler de cadeau. Des groupes et des organisations, souvent hostiles, veulent collaborer avec nous pour résoudre un problème potentiellement sérieux. Si nous ne travaillons pas ensemble pour trouver une solution, nous n’aurons qu’à nous en prendre à nous-mêmes lorsqu’un outil encore pire nous sera imposé.

Source JCK Online