4 prédictions pour le marché diamantaire en 2023 et au-delà

Michelle Graff

Michelle Graff, experte et rédactrice-en-chef, partage son avis sur les prix des diamants naturels, l’offre de diamants synthétiques et les ventes de bijoux en diamants en 2023.

À la grande surprise de beaucoup, l’année 2021 a été faste pour les ventes de bijoux en diamants et les réjouissances ne se sont pas atténuées autant que prévu en 2022.

Quelles sont donc les perspectives pour cette année ?

J’ai consulté Paul Zimnisky, analyste de l’industrie, et le rapport Diamond Insight de De Beers pour 2022, ainsi que les articles de l’ensemble du marché pour proposer des prédictions sur l’offre de diamants, la demande et le comportement des consommateurs en 2023 et au-delà.

1. Les prix et l’offre de diamants naturels

Pour comprendre l’état actuel de l’offre de diamants naturels, il faut revenir en arrière d’un an, à la date de l’invasion de l’Ukraine par la Russie, le 24 février 2022.

Juste après l’invasion, les États-Unis ont commencé à imposer des sanctions à la Russie, pour tenter de limiter ses ressources. ALROSA, l’un des deux plus grands producteurs de diamants au monde, s’est retrouvée ciblée par les sanctions, puisque le gouvernement russe détient une part de 33 % dans la société.

Au départ, les sanctions visaient les investissements américains dans des sociétés russes mais le gouvernement les a intensifiées les mois suivants. Le 11 mars, le président Joe Biden a signé un ordre exécutif, interdisant les importations de diamants russes non industriels et, un mois plus tard, a inscrit ALROSA sur la liste des nationaux spécifiquement désignés, établie par le Trésor américain.

Malgré les sanctions, les fabricants ont pu continuer à transformer les diamants russes achetés avant le 24 février.

Paul Zimnisky, analyste de l’industrie, a affirmé que les fabricants disposaient de réserves pour 3 à 6 mois. Cela a suffi pour les amener jusqu’au mois d’août, lorsque la demande de bijoux en diamants commence à ralentir, ce qui a aidé à alléger une éventuelle pression sur la chaîne d’approvisionnement.

Par ailleurs, De Beers Group a joué un rôle important, en augmentant sa production à 34,6 millions de carats, son plus haut volume depuis 2018, assez proche de la capacité maximum du minier de diamants.

Selon Paul Zimnisky, De Beers « a clairement bénéficié » des sanctions sur les marchandises russes, ce que la société a admis de façon détournée, dans son rapport de production pour le quatrième trimestre et l’exercice complet. Le minier a fait remarquer l’attrait de sa « proposition de diamants à l’origine prouvée » pour 2022, c’est-à-dire des diamants dont on sait qu’ils n’ont pas été extraits en Russie.

« L’industrie n’a vraiment pas ressenti la pénurie qui était attendue à cette époque l’année dernière », a-t-il déclaré.

Toutefois, si la demande augmente en 2023 et que, comme cela est prévu, les États-Unis et l’Europe imposent ensemble des interdictions pour tarir le flux des diamants russes sur les marchés occidentaux, l’offre subira de nouvelles pressions.

Sara Yood, conseil adjoint du Jewelers Vigilance Committee, s’attend à recevoir des directives supplémentaires au cas où les États-Unis et l’Union européenne s’accorderaient sur de nouvelles restrictions.

Entre-temps, Sara Yood a relayé les conseils du JVC et recommandé aux petits acteurs de « ne pas avoir peur » de poser des questions à leurs fournisseurs sur leur mode d’approvisionnement. Selon elle, les entreprises devraient respecter les références de due diligence en ce qui concerne l’approvisionnement dans les zones à haut risque, comme celles établies par l’OCDE.

« Bien sûr, certains fournisseurs peuvent continuer d’importer des marchandises russes en s’appuyant sur les règles de « transformation substantielle » établies par les douanes américaines. Il est donc essentiel que les petits acteurs du marché soient très clairs avec leurs fournisseurs sur le fait qu’ils refusent ces marchandises », a-t-elle déclaré.

Paul Zimnisky prévoit des perturbations plus fortes sur l’offre de diamants naturels en 2023, ce qui va pousser les prix vers le haut.

La hausse des prix des diamants naturels devrait théoriquement profiter aux diamants synthétiques, même si ce segment du marché devrait être confronté à ses propres difficultés cette année.

2. Les prix et l’offre de diamants synthétiques

On entend souvent dire que 2023 pourrait être un tournant décisif compliqué pour le segment des marchandises sans marque du marché des diamants synthétiques et je suis d’accord.

Comme l’a indiqué Rob Bates, directeur de l’actualité du JCK, dans son éditorial de novembre 2022, le marché pourrait être exposée à un « tremblement de terre » dans un proche avenir.

Avec l’arrivée d’un nombre croissant d’acteurs sur le marché, l’offre se développe plus rapidement que la demande – en particulier pour les grosses pierres, comme l’a noté Paul Zimnisky – et les prix vont continuer à chuter.

D’après l’échantillonnage des prix des diamants synthétiques que l’analyste a inclus dans son rapport State of the Diamond Market pour février 2023, le prix d’un diamant synthétique de 1 carat au 1er trimestre 2023 s’établit à 1 450 dollars, soit 27 % de moins sur deux ans (prix du 1er trimestre 2021 : 1 980 dollars).

La chute des prix des grosses marchandises a été plus précipitée, comme le montrent les données de Paul Zimnisky. Le prix d’un diamant synthétique de 3 carats a perdu plus de la moitié entre le 1er trimestre 2021 (20 565 dollars) et le 1er trimestre 2023 (9 305 dollars).

« Certains détaillants commencent à parler et expliquent qu’ils hésitent de plus en plus à vendre des diamants synthétiques car les prix continuent de baisser. C’est concret, a déclaré Paul Zimnisky. Nous devrions assister à un véritable virage, mené par les détaillants qui voient leurs résultats s’affaiblir. »

Qui va donc pouvoir prospérer ?

« Les seules sociétés qui seront en sécurité sont celles disposant d’une marque, a déclaré Paul Zimnisky. Je pense que les diamants synthétiques feront merveille chez Pandora. »

Lui et moi avions déjà évoqué la démarche sensée de Pandora qui avait lancé une collection de bijoux en diamants synthétiques. Le détaillant possède un solide réseau de distribution, ses tarifs sont adaptés à sa clientèle et le design est bon – suffisamment élaboré pour ne pas être ennuyeux, mais pas trop audacieux pour ne pas effrayer les clients.

En effet, dans son dernier rapport sur les gains, Pandora a noté que sa gamme de diamants synthétiques, Diamonds by Pandora, lancée en Amérique du Nord en 2022, a attiré de nouveaux clients, ses bagues ayant particulièrement connu le succès.

3. Les ventes : à la hausse, à la baisse ou en stagnation ?

« Voilà une grande question macro-économique », a déclaré Paul Zimnisky.

Les ventes et les prix des diamants ont toujours été étroitement corrélés au PIB mondial. Comme il s’agit d’un achat discrétionnaire, leur situation est favorable lorsque l’économie se porte bien et, comme tous ceux qui ont traversé la crise de 2008 peuvent en attester, pas si favorable lorsque l’économie ralentit.

En 2021, l’économie était chauffée à blanc et les ventes de bijoux en diamants ont atteint des niveaux records partout dans le monde. Elles ne sont pas retombées autant qu’on aurait pu s’y attendre en 2022, malgré un ralentissement des ventes au second semestre.

Fin 2022, le sentiment général sur le marché était que l’économie mondiale allait entrer en récession en 2023.

« Lorsqu’un sentiment est aussi universel, il est généralement faux, fait observer Paul Zimnisky. Pour l’instant, la récession semble assez éloignée. »

On est passé d’un discours dramatique, selon lequel le monde allait s’écrouler, à l’impression globale que l’économie allait suffisamment ralentir pour atténuer l’inflation en 2023 et permettre à des marchés en pleine euphorie d’atterrir en douceur.

Ce sont de bonnes nouvelles pour les ventes de bijoux en diamants, qui pourraient prendre quelques points en pourcentage en glissement annuel, en raison d’une inflation toujours supérieure à la moyenne, prévoit Paul Zimnisky.

Ce sera bien sûr le cas à condition qu’aucune tourmente géopolitique majeure – mais pas totalement inconcevable –, comme une troisième guerre mondiale ou l’arrivée d’un nouveau virus du type Covid-19, ne se présente.

4. Des virages dans la société

À l’automne dernier, j’ai eu la chance de pouvoir m’entretenir avec deux dirigeants de De Beers Group, Esther Oberbeck et Marc Jacheet, ancien responsable de Tiffany qui a repris le poste de Stephen Lussier l’année dernière, au sujet du rapport Diamond Insight 2022 de De Beers.

Lors de notre conversation, nous avons évoqué deux groupes de consommateurs, dont les choix auront un effet sur la demande de bijoux en diamants et les ventes à plus long terme, en 2023 et au-delà. Il s’agit de ceux qui achètent des bijoux en diamants pour eux-mêmes et des membres de la génération Z.

La génération Z, celle des « zoomers », suit immédiatement la génération Y, et se définit généralement comme rassemblant les personnes nées entre le milieu ou la fin des années 90 et le début des années 2010.

Marc Jacheet a affirmé que la génération Z accorde une grande importance à la marque. D’après le rapport Diamond Insight, 76 % des bijoux en diamants achetés par les consommateurs de ce groupe d’âge portaient une marque, un chiffre supérieur à tout autre génération.

Ils sont aussi plus intéressés par l’impact social des produits que les générations précédentes.

Ainsi, 50 % des membres de la génération Z interrogés pour le rapport se sont dits susceptibles d’acheter ou d’acheter plus s’ils connaissent l’impact positif qu’ont eu les diamants naturels sur les communautés d’où ils ont été extraits.

« Nous avons tout ce qu’il faut pour réussir si nous arrivons à raconter le bien que font les diamants », a déclaré Esther Oberbeck.

De Beers s’est exprimée plusieurs fois à ce sujet ces dernières années. Lors de la sortie du rapport Diamond Insight 2021, la société a déclaré que nous avions atteint « le point de bascule du développement durable ». Mais comment réagir face aux détaillants qui affirment : « Mes clients ne me demandent jamais d’où viennent leurs diamants » ?

Marc Jacheet évoque plusieurs grands changements de comportement, comme l’utilisation croissante des bouteilles d’eau réutilisables et l’évolution visible d’autres secteurs qui interagissent avec la clientèle, comme les restaurants qui mentionnent les fermes d’où vient la nourriture proposée sur le menu. Il y voit la preuve que les consommateurs sont de plus en plus conscients de l’impact et de l’origine des produits qu’ils achètent et qu’ils consomment.

« C’est inévitable, a-t-il déclaré. Notre rôle est de mener l’industrie, non pas où nous voulons qu’elle aille, mais là où elle doit aller de toute façon. »

Esther Oberbeck précise : si les clients ne posent pas forcément beaucoup de questions lorsqu’ils entrent dans une bijouterie, ce n’est pas parce que cela ne les intéresse pas mais parce qu’ils ont déjà effectué leurs recherches en ligne.

« Lorsqu’un client entre dans une boutique, ce n’est pas la première étape. Il a déjà réalisé toute une série de recherches », a-t-elle expliqué.

Toujours selon Esther Oberbeck, De Beers considère les personnes qui achètent des bijoux en diamants pour elles-mêmes comme une tendance à plus long terme dans l’industrie des diamants, principalement favorisée par le pouvoir d’achat croissant des femmes.

Aujourd’hui, les femmes sont capables de dépenser plus, bien sûr, mais il me semble que la hausse des achats personnels est également le signe d’un changement d’attitude et d’habitudes vis-à-vis du mariage et des relations traditionnelles.

Lorsque je suis arrivée chez National Jeweler, je me souviens avoir interviewé un autre analyste de l’industrie, Ken Gassman, à propos du boom attendu des mariages lorsque la génération Y (celle qui était dans l’ombre des plus de 70 millions de baby-boomers) serait en âge de le faire.

Mais ce boom n’a pas vraiment eu lieu.

L’année dernière devait être une année record pour les mariages aux États-Unis, en raison principalement de la demande latente issue de la pandémie, m’avait indiqué Shane McMurray, de The Wedding Report, dans un entretien au début de l’année dernière.

Les données issues du Centre pour le contrôle et la prévention des maladies montrent que le taux des mariages aux États-Unis – autrement dit le rapport entre les mariages et la population totale – est stable ou en baisse depuis le milieu des années 80.

Plus récemment, Ashley Davis, rédactrice-en-chef senior, a évoqué cette tendance dans un article à propos du nouveau collier en diamants imposant du rappeur Drake.

L’artiste d’origine canadienne a réalisé l’un des achats personnels probablement les plus importants de 2022 – un collier serti de 42 diamants, d’un poids total supérieur à 350 carats.

Chacun des diamants symboliserait une relation passée du rappeur canadien qui ne s’est pas terminée par une demande en mariage. Le fait de ne pas avoir trouvé « l’élue de son cœur » n’a pas empêché Drake de vouloir des diamants, d’en acheter et de célébrer sa situation de cette façon.

L’industrie diamantaire doit intégrer cette tendance pour l’avenir, comme l’a brillamment indiqué Ashley Davis, aussi bien pour les hommes que pour les femmes.

Source National Jeweler