L’industrie du diamant arrive aujourd’hui à un moment charnière de son histoire où s’accumulent les difficultés macroéconomiques, les tensions géopolitiques et l’évolution des attentes des consommateurs. Réunis par l’expert Avi Krawitz autour d’une table ronde lors du congrès de la CIBJO à Paris fin octobre, les figures majeures du secteur ont mis en lumière les obstacles et les opportunités qui vont instaurer un nouveau paradigme du marché du diamant.
Participaient à cette table ronde :
- Mahiar Borhanjoo – Chief Commercial Officer, De Beers Group
- David Kellie – CEO, NDC
- Ravi Bhansali – Vice Président, AWDC
- Yoram Dvash – President, WFDB
- Wafa Jaffery – Senior Specialist, DMCC Precious Stones & Dubai Diamond Exchange
- Didier Backaert – International Business & Marketing Consultant, Bonas Group
- Brijesh Dholakia – CEO, Hari Krishna Exports
- Avi Krawitz – Moderator
Le défi marketing et sémantique du diamant
Une large part des débats a été consacrée à l’arrivée du diamant de synthèse, dont l’incidence n’est pas seulement économique mais amène à se poser des questions de fond sur l’approche et le positionnement du diamant naturel. Les consommateurs sont confrontés à une communication très dynamique de la part des fabricants de diamants de synthèse mais aussi à une désinformation qui entretient ambigüités et doutes sur la valeur réelle du diamant, naturel comme synthétique. Un effort marketing important, déjà mis en place par le Natural Diamond Council (NDC) est indispensable pour restaurer le rêve, en travaillant la sémantique du diamant et en recréant un récit autour de sa rareté, de son authenticité et de ses origines. Les initiatives de De Beers (« Origin Diamonds », « Desert Diamonds »…) participent de la création de cet univers qui met en lumière le côté unique de chaque diamant, ce don de la nature qui a passé des millions d’années sous terre, par rapport à la production rapide et à grande échelle du diamant synthétique.
L’avenir du diamant naturel se jouera sur sa capacité à inspirer.
Faut-il réinventer le vocabulaire du diamant ? la Blue List (comprenant une définition précise et transparente des termes du secteur) est en cours de création par la CIBJO. Largement partagée dans la profession, elle prévoit la remise en cause de l’appellation Lab Grown Diamond, terme flatteur qui laisse penser, à tort, que ces pierres sont fabriquées en laboratoire. Un intervenant souligne que, si l’émeraude dispose d’un joli florilège de mots pour désigner ses imperfections (jardin, givre…) le diamant souffre de termes négatifs tels que « frozen spit »… Après tout, les imperfections sont un signe d’authenticité et d’un long voyage au cœur de la Terre, pourquoi ne pas apprendre à en parler de façon plus valorisante ?
L’appellation « diamant » autorisée aux Etats-Unis sans autre forme de précision, qu’il s’agisse de pierres naturelles ou synthétiques, aurait-elle profité à ces derniers ? Il est clair que le marché américain s’est trouvé bouleversé par l’arrivée du Lab Grown Diamond.
Un marché polarisé
Le diamant synthétique a connu une croissance spectaculaire. Son volume de ventes aurait déjà dépassé celui des diamants naturels sur certains marchés. Aux Etats-Unis, qui représentent à eux seuls la moitié du marché mondial des bijoux, plus de 50% des bagues de fiançailles sont vendues avec des diamants de synthèse pour des raisons économiques ou (plus rarement) écologiques. Un résultat poussé, non par les consommateurs, mais par les détaillants. Avec un coût de fabrication tombé à 30 $ le carat et un prix retail de 1 000 $, la marge est considérable. Les deux types de bijoux cohabitant sur les points de vente, cela renforce la confusion du client et oriente celui-ci vers le moins cher pour une apparence similaire. L’argumentation qui consiste à considérer les diamants naturels comme étant réservés à des achats haut-de-gamme et précieux et les Lab Grown Diamonds comme des bijoux plus mode ne se vérifie pas.
Le pic de l’engouement pour ce dernier semble cependant s’éloigner, nous allons vers une « co -opétition » selon l’un des intervenants, une coexistence plus apaisée, plus raisonnée.
Le marché mondial tend à se polariser, entre d’un côté, les détaillants à la recherche d’une profitabilité rapide et qui favoriseront le diamant de synthèse, et les autres, qui continueront d’établir une séparation entre les pierres synthétiques et naturelles. En Asie et en Europe en particulier, les diamants de synthèse n’ont pas rencontré le même succès, ce que l’on peut attribuer à plusieurs facteurs : la culture, un réseau de détaillants plus traditionnels et l’information diffusée (avec la précision « synthétique » ou « de synthèse » accolée au terme « diamant »- ce qui n’est pas le cas aux Etats-Unis – les termes « faux » et imitation » venant alors plus facilement à l’esprit).
Toutefois, il semblerait que les détaillants commencent à revenir sur cette politique, leurs marges étant de moins en moins rentables avec la chute continue du prix de vente des diamants de synthèse. Parallèlement, De Beers a signé des partenariats avec les grandes enseignes américaine, indienne et chinoise (Signet, Tanishq, Chow Taï Fook) pour la formation des forces de vente afin de mieux promouvoir le diamant naturel tandis que le NDC met à disposition de nombreux outils de formation en ligne.
Diamant et or : la montée des valeurs refuges
Expression à la fois des nouvelles difficultés et des opportunités, les marchés se transforment. La Chine, énorme marché du luxe avant le Covid, peine à retrouver sa dynamique. Les importations de diamant se sont effondrées, notamment à cause de la crise des marchés financiers et immobiliers. L’Inde est présentée comme le prochain marché qui pourrait tirer vers le haut la croissance du luxe. Toutefois, un constat commun est fait sur ces deux pays : la volonté d’investir dans des biens durables, valeur refuge. En pleine hausse des cours de l’or, les ventes des bijoux en or 24 carats de la marque chinoise Laopu Gold s’envolent. Si cette tendance pénalise encore plus les ventes de bijoux en diamants, le marché devrait s’apaiser, une fois le cours du métal précieux revenu à une certaine stabilité. En Inde, les mariages et les célébrations donnent lieu à des dépenses importantes dans le domaine de la parure et des bijoux. L’Inde est traditionnellement le plus gros acheteur d’or au monde.
Il y a donc, de façon structurelle, une place évidente pour le diamant naturel sur ces deux marchés à la recherche de produits de luxe porteurs de valeur.
Le marché du diamant se restructure, poussé par une conjoncture agitée
Y a-t-il trop de diamants sur le marché ? La question des stocks est récurrente et les avis sont partagés. Certains estiment qu’en raison des conditions du marché et des perturbations géopolitiques, les stocks sont trop élevés. D’autres pensent, au contraire, que ceux-ci vont se réguler en raison d’une chaîne d’approvisionnement plus courte et plus directe. L’époque est révolue où De Beers et Alrosa dominaient le marché. Alrosa est mis en retrait, les conditions d’achat des sightholders de De Beers se sont assouplis, les stocks des négociants sont gérés de façon plus prudente en fonction des attentes et des turbulences économiques.
Mais l’avenir reste incertain. Les changements générationnels, les pressions sur les négociants et les évolutions de la demande façonnent un secteur diamantaire en pleine mutation avec la disparition de certains acteurs traditionnels. L’industrie sera certainement plus fragmentée, plus segmentée et devra s’adapter en termes de marchés et de produits. Si certains négociants en pierres taillées ont quitté le marché, d’autres ont su saisir de nouvelles opportunités grâce à une spécialisation accrue, une recherche constante de valeur ajoutée ou une diversification géographique.
Du côté des groupes miniers, il faudra trouver le juste équilibre entre la nécessité de renouveler les sources d’approvisionnement (investissements massifs et à long terme dans la mine de Venetia / De Beers, délai de 10 à 15 ans entre le début d’un projet minier et l’extraction du premier diamant), de maintenir les prix malgré la crise actuelle, de soutenir les revenus des pays d’extraction (exemple du Botswana), une responsabilité sur laquelle De Beers communique largement.
L’organisation du marché évolue également. De Beers va céder une part importante de sa production à ODC, au Botswana, qui pourra les mettre en vente directement. L’Angola, considérée comme une nouvelle source de diamants avec des réserves très importantes en sous-sol, va prendre une importance grandissante dans le secteur. Par ailleurs, l’apparition de maisons de ventes aux enchères spécialisées modifie aussi le paysage du diamant. Enfin, et ce n’est pas l’un des moindres bouleversements, la cession de De Beers en cours va profondément altérer la place et le rôle du groupe minier dans la profession. Or, la stabilité de l’accès aux approvisionnements constitue un facteur clé de la croissance.
L’avenir reste pour l’instant peu lisible. Les taxes douanières américaines, et maintenant la hausse de la TVA chinoise sur le diamant, viennent ajouter à l’incertitude et gripper les rouages d’un secteur déjà bien secoué.
L’industrie du diamant se trouve aujourd’hui à un carrefour. Elle doit affronter des défis économiques, géopolitiques, culturels, écologiques. Tous les acteurs du secteur, des groupes miniers aux détaillants, doivent s’adapter à un environnement en mutation rapide et drastique depuis quelques années. S’ajuster à la demande sans perdre de vue une vision de long terme est une stratégie d’équilibre difficile à trouver mais indispensable pour perdurer.
Image : The panel looking at the current challenges facing the diamond industry (from left) Avi Krawitz, moderator; Mahiar Borhanjoo, Chief Commercial Officer, De Beers Group; David Kellie, CEO, Natural Diamond Council; Brijesh Dholakia, CEO, Hari Krishna Exports; Ravi Bhansali, Vice President, AWDC; Yoram Dvash, President of WFDB; Wafa Jaffery, Senior Specialist, DMCC Precious Stones and Dubai Diamond Exchange; Didier Backaert, International Business & Marketing Consultant Bonas Group- Photo ©CIBJO