Le moment le plus marquant du petit déjeuner Rapaport, lors du salon JCK le 8 juin, s’est produit durant la séance de questions-réponses. Aleah Arundale, propriétaire de la page Facebook Jewelers Helping Jewelers, s’est précipitée au micro et a fustigé l’intervenant invité, Al Cook, PDG de De Beers, pour son nouveau plan marketing, qui insiste, entre autres choses, sur les avantages qu’apportent les diamants au Botswana.
« Savez-vous combien de fois un bijoutier américain est interrogé sur l’origine de ses diamants ? s’est demandé Aleah Arundale. Jamais. Pas une fois par an, pas deux fois par an. Jamais. Alors, même si vous souhaitez que les consommateurs se soucient de la provenance des diamants, même si moi aussi, je le souhaite, cela n’arrive pas. Par conséquent, cessez d’imposer aux clients ce à quoi ils devraient s’intéresser. »
Aleah Arundale a peut-être raison de dire que le sujet est rarement soulevé aux États-Unis. Cependant, les questions que posent les clients ne reflètent pas forcément leurs préoccupations.
Comme l’écrivait récemment Edahn Golan, tout le monde n’exprime pas ses inquiétudes. Je connais une personne qui refuse d’acheter chez un grand détaillant car elle a lu une information relative à ses pratiques de travail. Elle n’a jamais interrogé aucun employé ni contacté le siège social pour obtenir des éclaircissements. Elle a tout simplement cessé d’acheter auprès de cette enseigne. Ce n’est donc pas parce que les clients ne posent pas de questions sur l’origine des diamants qu’ils s’en moquent.
Même si beaucoup ne s’y intéressent probablement pas, certains s’en soucient. Brilliant Earth a élaboré son activité en proposant des informations sur l’origine des diamants extraits, à une époque où personne d’autre ne le faisait. Les diamants canadiens ont également été très en vogue pendant un certain temps, car ils n’étaient pas issus d’un conflit.
Le débat entre diamants « naturels et synthétiques » repose fondamentalement sur la question de l’origine, et sur l’importance de savoir si un diamant est issu du sol ou d’une usine. Alors oui, l’origine compte. La demande de diamants est réelle, mais les miniers doivent désormais convaincre les consommateurs d’acheter des diamants naturels, tout comme les producteurs de diamants synthétiques ont passé des années à défendre consciencieusement leurs arguments.
Lorsque l’on s’intéresse à ce mode de fonctionnement, on constate que les diamants synthétiques sont des pierres précieuses moins chères que les pierres naturelles. Les consommateurs considèrent généralement une bague de fiançailles en diamants comme un achat de luxe. Or, les futurs mariés ne veulent pas paraître radins. Le risque était que les pierres synthétiques soient considérées comme des produits de moindre qualité, à l’instar du zircon cubique ou de la moissanite.
C’est là que leur positionnement écologique a probablement été décisif. Presque toutes les sociétés de diamants synthétiques affirment que leurs produits sont « écologiques », et ce même après que la Federal Trade Commission les a mises en garde contre cette pratique. On peut en effet supposer que leur argumentaire fonctionne. Le concept est le suivant : « Non seulement vous faites des économies, mais vous sauvez la planète » (ce qui est absurde, mais peu importe).
Bien entendu, ce positionnement « écologique » est très puissant parce que les diamants naturels n’ont pas meilleure presse. Rares sont les industries qui sont flanquées d’un film à succès relatant leurs pires pratiques. J’apprécie la réaction du Botswana, car il ne se positionne pas de manière défensive. Il s’éloigne du discours : « Ne vous inquiétez pas pour les diamants du conflit. Le Kimberley Process s’en occupe. » (Le KP n’est pas parfait, Google vous le dira.) Faire la promotion du Botswana ne revient pas à affirmer que 99 % des diamants naturels sont éthiques – ce qui est également discutable, désolé de le dire.
Au contraire, cela change la donne. Le pays affirme que ces diamants spécifiques sont éthiques. Et le Botswana a d’excellents arguments à faire valoir ; il serait difficile d’écouter le président du Botswana ou son ministre des Mines se qualifier de « diamond babies » sans en être ému. Nous évoquons « le storytelling du Botswana », mais si elle résonne en nous, c’est parce que ce n’est pas du « storytelling », c’est la réalité.
Le Botswana vit une situation difficile, et les diamants synthétiques en sont l’une des principales raisons. Le pays veut valoriser davantage ses pierres. Or, développer un marché pour les diamants de marque botswanaise exigera beaucoup de temps et de ressources. Cela pourrait ne pas fonctionner. On ne peut pas reprocher au pays d’essayer. N’oublions pas que l’aspect « écologique » n’a pas été le principal facteur de vente des diamants synthétiques. De l’avis général, c’est le prix qui prime. Le message « écologique » a simplement permis aux clients de se sentir mieux, tout en dépensant moins.
L’argument de l’origine botswanaise pourrait-il inciter les consommateurs à dépenser plus ? Les données sont mitigées. Les consommateurs affirment souvent être prêts à payer plus cher pour des produits éthiques, mais ne le font pas. Personne à ma connaissance ne considère la traçabilité comme une solution miracle ; elle fait simplement partie du paquet marketing. La marque Origins[ef1] de De Beers intègre la notion d’« approvisionnement éthique » dans un argumentaire plus large. Même si l’histoire du Botswana ne séduit qu’une petite minorité de consommateurs, il est désormais possible de cibler les plus réceptifs à l’aide des outils numériques.
Bien sûr, cela soulève des questions. Au cours d’une séance de la récente réunion des présidents de la World Federation of Diamond Bourses, le président du Diamond Dealers Club, Elliot Krischer, a affirmé que le projet du GIA pourrait poser problème. Le laboratoire entend en effet inclure les informations d’origine issues de Tracr dans les rapports de certification.
« Les diamants russes étaient autrefois les plus belles choses au monde, a-t-il déclaré. Aujourd’hui, il est impossible d’inscrire la mention de diamants russes sur un certificat. Que fait la personne dont le certificat indique une origine russe ? »
Le Botswana est considéré comme un pays démocratique stable, a-t-il fait remarquer, mais que se passerait-il si la situation changeait ?
Mmetla Masire, PDG d’Okavango Diamond Company, l’entreprise publique botswanaise de vente de diamants, a répondu : « Cette question peut être posée dans tous les domaines. Il y a trois ans, Tesla était une marque populaire. Aujourd’hui, plus personne n’en veut. »
Certes. La réputation est la clé de la réussite des marques. En en faisant un argument de vente, le Botswana se positionne, lui et son industrie minière, sous les feux des projecteurs. Cela comporte des risques, comme vous le diront les concessionnaires Tesla.
Or, cela offre aussi des opportunités. Al Cook l’a souligné lors du petit déjeuner de Rapaport, si tous les pays producteurs de diamants doivent fournir des informations sur l’origine de leurs pierres, cela améliorera peut-être les normes dans leurs mines et, par conséquent, la réputation globale de l’industrie.
Une telle évolution est déjà observée en Angola. L’histoire de l’industrie angolaise du diamant n’est pas un exemple. Pourtant, lors du salon JCK, les dirigeants miniers angolais ont ostensiblement suivi ce que l’on pourrait qualifier de « modèle botswanais » (qui n’a toutefois pas encore fait ses preuves auprès des consommateurs), évoquant l’éthique et l’impact.
Même s’il importe peu aux acheteurs de bijoux que les revenus des diamants financent un hôpital à Luanda, les marques soucieuses de leur image, elles, en tiennent compte. Elles pourraient donc finir par s’intéresser à l’approvisionnement angolais, après s’en être écarté pendant des années. (Brilliant Earth propose actuellement des diamants angolais ; la société affirme être sur « le point de dépasser le principe des « diamants sans conflit ».)
Le fait que le secteur des diamants naturels insiste davantage sur l’« impact social » stimulera-t-il les ventes ? (Je ne pense pas que cela puisse leur nuire). En tout cas, il le fait, car les producteurs de diamants synthétiques ne peuvent pas jouer sur ce tableau.

Les diamants Ombré Desert Diamonds de De Beers
La peur des diamants synthétiques guide de plus en plus le marketing des miniers. Prenons l’exemple du nouveau programme phare de De Beers : « Ombré Desert Diamond ». Beaucoup n’ont pas saisi le concept : pourquoi choisir des diamants bruns et de différentes couleurs ?
La raison, une fois de plus, est liée aux diamants synthétiques. De Beers voulait créer un « produit phare », mais craignait qu’en lançant une nouvelle bague à trois pierres, les fabricants de diamants synthétiques ne s’en emparent pour développer leurs propres versions, moins chères. De Beers aurait alors investi des millions de dollars pour promouvoir un produit concurrent.
L’industrie des diamants synthétiques est capable de produire des pierres brunes, mais pourra-t-elle en produire suffisamment pour les fêtes de fin d’année 2025 ? Les gammes Origins et Ombré Desert Diamonds tentent clairement de différencier les diamants naturels des diamants synthétiques. Ombré Desert Diamonds célèbre même l’« imperfection » des diamants naturels, une idée qui a remporté un succès surprenant.
À long terme, nombreux sont ceux qui pensent que la solution ne réside pas dans un « marketing générique », mais dans la capacité des marques de diamants naturels à faire parler d’elles. C’est ainsi que l’industrie horlogère suisse s’est redressée après avoir été frappée par la « crise du quartz ». C’est également la raison pour laquelle le Natural Diamond Council parle tant des créateurs.
Dans cette situation, tout ce marketing générique ressemble à un cautère sur une jambe de bois. Or, il faut parfois savoir cautériser les plaies qui saignent.
Image, en haut : Al Cook, PDG de De Beers, présente la marque Origins de De Beers au JCK Las Vegas (photo publiée avec l’aimable autorisation de De Beers).
Source : jckonline