Pourquoi les ONG et Dubaï ne s’entendent toujours pas

Rob Bates

Un signal inquiétant qui fait douter que tous les courants du Kimberley Process puissent continuer à travailler ensemble.[:]

Il y a eu tant de querelles, tant de boycotts et tant de crises au sein du Kimberley Process au fil des années qu’il est parfois difficile de se souvenir de tout, et encore plus d’y porter de l’intérêt. Or, récemment, la médiation qui a tenté de mettre fin au boycott des assemblées du KP par la société civile cette année s’est arrêtée prématurément. Il faut certainement y voir un signal inquiétant, faisant douter que les divers courants du KP puissent continuer à travailler ensemble et, surtout, que l’industrie puisse continuer à se réformer.

L’année dernière, la coalition de la société civile au sein du KP, composée des 11 groupes des droits de l’homme qui participent au KP, a annoncé vouloir boycotter les assemblées de cette année après l’arrivée à la présidence des Émirats arabes unis, aux positions souvent antagonistes. Le World Diamond Council a alors entamé des pourparlers privés entre les ONG et les EAU pour mettre fin à la polémique. Cette semaine, les discussions ont pris fin.

Non seulement les deux parties n’ont pas réussi à résoudre leurs différends mais aujourd’hui, les relations sont toujours aussi tendues. (Un porte-parole de la présidence émiratie du KP a refusé de s’exprimer à ce sujet.)

Au-delà des postures prises par les deux parties, il y a également de vrais problèmes. Depuis que les EAU sont entrés en scène, d’aucuns murmurent que le pays a élevé très haut son niveau dans l’industrie, et très vite. Les ONG accusent le centre de pratiquer des contrôles laxistes et d’être le lieu idéal pour les prix de transfert : les diamants sont sous-évalués en Afrique, puis vendus au prix du marché lorsqu’ils quittent les EAU.

Pour mettre fin au boycott, la coalition de la société civile a demandé quatre éléments lors de la médiation : un système de contrôles internes visant à empêcher la sous-évaluation des diamants, une coopération pour la mise en application des décisions avec les partenaires commerciaux, une plus forte vigilance afin d’empêcher l’entrée des diamants illégaux dans la chaîne d’approvisionnement et un engagement auprès de groupes de surveillance. Alan Martin, porte-parole de la coalition de la société civile, affirme qu’aucune de ces conditions n’a été remplie.

La présidence émiratie du KP parraine bien un forum d’une journée au mois de mai, en collaboration avec l’Organisation de Coopération et de Développement Économiques (OCDE), dans le but de développer un ensemble de bonnes pratiques pour l’évaluation du brut. Or, selon Alan Martin, les ONG espéraient davantage d’actions en la matière de la part des EAU, plutôt qu’un élargissement du débat afin d’y faire entrer toute l’industrie.

Et pour exacerber encore les tensions, en plein milieu de la médiation, le bureau émirati du KP qui, notons-le, est un organisme distinct de la présidence du KP, a déposé une plainte auprès du KP, affirmant que la coalition de la société civile avait violé la confidentialité de la mission d’examen des EAU de l’année dernière.

Alan Martin réfute cette affirmation et indique que les informations en question portaient sur les prix de transfert, une question qui « est dans le domaine public depuis des années » et que c’est la plainte des EAU qui a de nouveau porté l’attention sur ce sujet. Quoi qu’il en soit, ce différend dénote – et ce n’est malheureusement pas la première fois – une volonté d’affrontement de la part des EAU, qui a probablement rendu inévitable cette issue décevante.

La coalition de la société civile n’est pas parfaite et elle a commis son lot d’erreurs au fil des années. Mais le KP s’est toujours appuyé sur la coopération entre les gouvernements, l’industrie et les ONG. Si les EAU ne peuvent pas s’y conformer ou s’ils ne sont pas en mesure de gérer cette situation, pourquoi ont-ils voulu prendre la présidence ?

Alan Martin pense que les EAU vont recruter des ONG amies – il les qualifie de « fausses » – qui pourraient participer au KP cette année, comme l’a fait le Zimbabwe en son temps, à l’époque de ses relations tumultueuses avec l’organisation. Il affirme que les EAU ont contacté deux anciens participants – Global Witness et Amnesty International – mais qu’ils ont essuyé une rebuffade.

Quant au KP, la récente tournure qu’ont pris les événements laisse à penser que nous entrons dans une nouvelle année de stagnation et d’animosité et que le système ne parviendra pas, cette fois-ci non plus, à apporter les améliorations nécessaires, en dépit des promesses des EAU faites l’année dernière, celles d’une présidence productive et fructueuse.

« Ils organiseront une jolie fête à Dubaï et c’en sera fini de la présidence, explique Alan Martin, qui est également directeur de recherche pour le Partenariat Afrique Canada. Parmi tous les présidents qu’a connus le KP depuis 15 ans, ils seront les premiers à ne pas avoir les ONG de leur côté. »

Une source de l’industrie explique la situation à sa façon : « Dubaï présentera certainement cela comme une victoire. Mais en réalité, le vrai perdant, c’est le KP. »

Source JCK Online