1925-2025 : Un siècle de modernité joaillière

Isabelle Hossenlopp

A l’occasion des 100 ans de l’Exposition de 1925 qui consacra le style Art déco, Maisons de joaillerie et institutions culturelles célèbrent, de Paris à Tokyo en passant par Genève, un héritage artistique qui continue d’inspirer la création contemporaine. 

Pour célébrer le centenaire de l’Expositioninternationale des arts décoratifs et industriels modernes de 1925, des expositions viennent raviver notre imaginaire : Paris 1925 : L’art déco et ses architectes à la Cité du Patrimoine et de l’Architecture, 1925-2025. Cent ans d’Art déco au MAD, Louis Vuitton Art Déco à l’Espace LV Dreams, L’Art Déco raconté à travers la haute joailleriepar Van Cleef & Arpels à Tokyo … pour ne citer que les manifestations les plus importantes. Parallèlement à l’exposition de Tokyo, l’Ecole des Arts Joailliers organise des conférences (« Paris 1925 : sur les traces du bijou Art déco », « La perle, reine de l’Art déco»…). En mai dernier, le salon GemGenève lui avait consacré une exposition, un catalogue et plusieurs conférences animées par des experts.

Chaumet, étui à cigarettes rectangulaire, or émaillé noir et rouge, 1923 Paris, Chaumet Collections © Pauline Guyon

Nouvelle ère, nouveaux modes de vie

Les historiens situent le début de la période Art déco vers 1910 mais c’est l’Exposition internationale, qui se déroule à Paris d’avril à octobre 1925, qui fera largement connaître cette nouvelle esthétique, reflet des changements sociaux et technologiques du début du siècle. L’accélération des modes de vie est facilitée par l’arrivée de l’électricité, de l’automobile, du téléphone.  Les femmes s’émancipent, se font couper les cheveux, elles portent le pantalon, fument, voyagent. C’est l’époque de Paul Poiret et de Coco Chanel, connus pour avoir libéré le corps féminin.  Joailliers, artistes, architectes, décorateurs cherchent à créer un univers de formes empreint de simplicité et de fonctionnalité qui correspond à cette nouvelle manière de vivre.

Cartier, broche platine, diamants, perle de culture, cristal de roche, onyx, 1924 © Collection Cartier / Vincent Wulveryck

Couleurs et matières

Le style Art déco est souvent connu pour ses formes géométriques et épurées, la blancheur du diamant et du platine mais ce n’est pas que cela. Si le diamant baguette, nouveau venu en joaillerie, épouse cette esthétique, les couleurs s’imposent progressivement, portées par l’émail, la laque, les pierres dures (turquoise, malachite, lapis-lazuli, onyx, jade…), le cristal de roche, les matières organiques (corail). L’aspect mat de la matière permet de créer des contrastes avec les pierres précieuses, instillant un nouveau goût du luxe, plus osé, moins ostentatoire.

Si beaucoup de joailliers de l’époque Art déco ont disparu (Jean Fouquet, Lacloche Frères, Gérard Sandoz, René Boivin, Suzanne Belperron ou encore Raymond Templier), leur mémoire est encore bien vivante. Certaines pièces de Belperron sont reproduites et vendues depuis quelques années et une quinzaine de bijoux de Raymond Templier sont en réédition actuellement.

Le style sobre et essentiel de l’Art déco est toujours très apprécié en salle de ventes aux enchères (une broche en diamants de Cartier a dépassé 14 fois son estimation l’an dernier quand un collier de Jean Fouquet de 1925-1930, de conception relativement simple en métal, or et aigue-marine s’est vendu à plus de deux fois son estimation, soit 980 000 €). L’exposition du MAD 1925-2025.Cent ans d’Art déco dévoile plus de 1 200 pièces parmi lesquelles de superbes pièces patrimoniales de ces joailliers disparus. Un espace est entièrement dédié à Cartier qui fut, avec Boucheron et Mauboussin, l’un des joailliers majeurs de l’Art déco. Ainsi, le musée permettra au grand public de découvrir ces chefs-d’œuvre combinant matériaux précieux et simples, couleurs vives et sobriété des formes parfois tout droit issues du design industriel (clip en or de Jean Lambert-Rucki, Georges Fouquet et Charles Girard- 1937).

Jean Lambert Rucki, Georges Fouquet, Charles Girard, clip or, 1937 © Les Arts Décoratifs / Jean Tholance

Un langage compris dans toutes les cultures

L’Art déco rayonne dans le monde entier, à une époque où les élites se mettent à voyager. En Asie, aristocrates et grandes fortunes s’approprient ce nouveau courant artistique né en Occident mais dont le langage est compris dans toutes les cultures.

A Tokyo, la villa Art déco commandée par le prince et la princesse Asaka, devenue aujourd’hui le Teien Art Museum, est une petite folie architecturale. Pour la réaliser, le couple princier fit appel aux meilleurs créateurs et artisans français de l’époque (Lalique, Henri Rapin, Pierre Charreau, Raymond Subes, Léon Alexandre Blanchot…). C’est dans cet endroit chargé d’histoire et marqué par la passion d’un prince japonais que Van Cleef & Arpels organise, jusqu’au 18 janvier 2026, une exposition de 250 pièces signées de cette période, accompagnées de 60 documents d’archive.

Van Cleef & Arpels, bracelet Fleurs Entrelacées, roses rouges et blanches, platine, émeraudes, rubis, onyx, diamants jaunes et diamants, 1924 Van Cleef & Arpels Collection © Van Cleef & Arpels

Le fameux bracelet Fleurs entrelacées, roses rouges et blanches (diamants et rubis sur platine), lauréat d’un grand prix lors de l’exposition de 1925, en fait partie, tout comme le somptueux collier Collerette d’émeraudes et de diamants de 1929 ayant appartenu à la princesse Fawzia d’Egypte, aujourd’hui dans le patrimoine du joaillier.


Van Cleef & Arpels, collier Collerette platine, émeraudes, diamants Van Cleef & Arpels Collection © Van Cleef & Arpels

L’exotisme, composante majeure de l‘Art déco

Le Japon n’a sans doute pas été choisi au hasard par Van Cleef & Arpels. L’influence des arts d’Asie et d’Orient (Inde, Chine, Japon, Egypte) est indissociables des arts décoratifs et la joaillerie de la période Art déco, comme ce vanity case serti de jade et d’émail incrusté de motifs obi (motif d’éventails ouverts souvent reproduit sur les ceintures de kimono) ou encore ce sautoir transformable de 1924 figurant un bouquet dans un vase japonais.

Van Cleef & Arpels, collier transformable, platine, émeraudes, rubis, saphirs, onyx, émail, diamants, 1924 Collection Van Cleef & Arpels© Van Cleef & Arpels

L’égyptomanie, née de la découverte de la tombe de Toutankhamon en 1922, marquera aussi le style de Van Cleef & Arpels, tout comme celui de Cartier. Pour le joaillier de la rue de la Paix, l’inspiration orientaliste est majeure, venue du Japon, de la Chine (Cartier fait l’acquisition de jades gravés pour les habiller de pierres précieuses et les trans former en bijoux), de l’Inde (les pierres gravées du style Tutti Frutti).

Cartier, diadème de style tutti frutti HYDERABAD, platine, émeraude de Colombie octogonale gravée de 18,23 carats, saphirs et émeraudes gravés, gouttes de rubis, perles de rubis, de saphir et d’émeraude, onyx, diamants triangle, diamants taille brillant, cordon de soie © Cartier COLLECTION MODERNE

Enfin, Cartier voit dans les arts de l’Islam une préfiguration de l’Art déco par leurs couleurs (bleu et vert essentiellement) et la géométrie des dessins.

La Maison, qui se qualifie de « joaillier des formes » leur a consacré une exposition au Musée des Arts Décoratifs en 2021, établissant une lecture de ses propres bijoux à travers l’art islamique.

Cartier, étui à cigarettes (détail) or, platine, lapis-lazuli, turquoises, diamant, 1930 Nils Herrmann, Cartier Collection © Cartier
 

Depuis près d’un siècle, Cartier revendique l’héritage de l’Art déco pour définir son territoire fait de jeux de couleurs, de contrastes de matières et de formes graphiques et équilibrées, ces dernières étant reconnaissables dans sa haute joaillerie mais également dans l’épure de ses icônes Love, Trinity, Juste un Clou, Clash.

C’est l’héritage indien vu au prisme de l’Art déco que Boucheron a récemment mis en avant dans sa collection New Maharajahs. Claire Choisne, la directrice artistique de la Maison, y reprend, en les modernisant, tous les codes de l’extraordinaire commande réalisée par le joaillier en 1928 pour le maharajah de Patiala. Histoire, savoir-faire, modernité et imaginaire de légende se conjuguent dans cette collection qui fut présentée, pour certaines pièces, sur des mannequins masculins pour sensibiliser les hommes aux diamants.  Pari réussi, la presse a adoré cette collection sublime.


Boucheron, Collection New Maharajahs, broche or blanc, diamants, nacre et perles de culture (élément central du sautoir transformable New Maharani) © Boucheron COLLECTION MODERNE

Eblouissant diamant

Les bijoux composés exclusivement de platine et de diamants participent de cette autre facette de l’esthétique Art déco. Elle va marquer la seule et unique collection de haute joaillerie de Gabrielle Chanel de 1932, Bijoux de diamants. « Si j’ai choisi le diamant, c’est parce qu’il représente, avec sa densité, la valeur la plus grande sous le plus petit volume », dira Gabrielle Chanel, désireuse de redonner aux femmes le goût du précieux après la dévastatrice crise de 1929. Les thèmes majeurs de cette collection, la comète, le soleil et la lune, ne cesseront plus d’inspirer la Maison Chanel. Dans la collection anniversaire de 2022, baptisée Chanel 1932, pour les 90 ans de Bijoux de diamants, astres et planètes se déclinent sous toutes les formes au cœur de dessins très Art déco façon XXIème siècle.

Chanel, Collection 1932, collier Lune Etincelante, or blanc et diamants, 1 diamant taille brillant 5,02 cts D IF (Type IIa) ©Chanel COLLECTION MODERNE

La flamboyance du diamant se retrouve aussi dans la collection de haute joaillerie N°5, imaginée à l’occasion du centenaire du lancement du parfum mythique, né lui aussi en pleine période Art déco (1921). Son cabochon octogonal est repris sur un collier serti d’un rare diamant taille émeraude de 55,55 cts D FL (Type IIa). La cabochon et les 5 diamants poire sont tous d’une qualité exceptionnelle, D FL (Type IIa).

Chanel, collier Lune Etincelante, or blanc et diamants, 1 diamant taille brillant 5,02 cts D IF (Type IIa)©Chanel COLLECTION MODERNE

L’octogone est une forme très en vogue à l’époque, que l’on retrouve dans le mobilier, la décoration ou chez d’autres joailliers. Il inspire Harry Winston – la Maison naît en 1932, l’année de lancement de Bijoux de diamants – quireprend cette forme dans son logo, ses boutiques et jusque dans ses collections.

Harry Winston, boucles d’oreilles de la parure Art déco, saphirs et diamants © Harry Winston

Chez Louis Vuitton, le V signature des années 1920

Récemment arrivé dans la joaillerie (2009), Louis Vuitton n’en est pas moins devenu l’un des acteurs majeurs. Le malletier puise dans ses racines, malles, clous des malles, cordages tressés, forme du V (imaginé dans les années 1920) ainsi que dans l’art et l’architecture de la fin du XIXème siècle. L’interprétation joaillière de la Maison affiche une belle originalité et un style très caractéristique qui met en avant la virtuosité des ateliers dans des pièces aussi complexes que, parfois, totalement épurées, comme la collection V de Vuitton, ultra géométrique. Plus de 300 pièces de l’époque Art déco sont actuellement à découvrir dans l’exposition Louis Vuitton Art Déco à Paris, rappelant que la Maison a aussi participé à l’exposition de 1925 où elle s’infusait déjà de l’âme du voyage.


Louis Vuitton haute joaillerie collection Awakened Minds, collier Perception or blanc, saphirs et diamants ©Nathaniel Goldberg COLLECTION MODERNE

En célébrant le centenaire de l’Art déco, la joaillerie offre au public une plongée fascinante dans un style qui a réinventé le luxe avec modernité. Un siècle plus tard, l’esthétique Art déco continue d’inspirer les joailliers pour des créations contemporaines qui nous ramènent à l’essence de l’émotion : la créativité et la beauté de la simplicité.

Vhernier, bague Ardis or blanc et diamants © Vhernier COLLECTION MODERNE
VAK Jewels at SECOND PETALE GALLERY, boucles d’oreilles Porte de Jaipur Door or, malachite, émeraudes et diamants © SECOND PETALE GALLERY COLLECTION MODERNE

Chaumet, bague Triomphe or blanc, laque noire et diamants ©Chaumet COLLECTION MODERNE

Chaumet, collier Bamboo or blanc, or jaune et platine, opale noire cabochon ovale de 13,19 cts, 1 grenat tsavorite ovale de 12,91 cts, grenats tsavorites et diamants ©Chaumet COLLECTION MODERNE

Pavillon Pomone du Bon Marché à l’Exposition internationale des arts décoratifs et industriels modernes Paris, 1925 Georges Buffotot (1879-1955), photographe – Tirage gélatino-argentique © Les Arts Décoratifs

Image :   Façade du Tokyo Metropolitan Teien Art Museum où se déroule l’exposition Timeless Art déco with Van Cleef & Arpels High Jewelry