Cocktails

Charles Wyndham

Vous l’avez peut-être constaté au fil du temps si vous êtes assez fou pour lire quelques-unes de mes bafouilles, je ne suis pas du genre à résister trop longtemps à un bon verre de vin.

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De nos jours, la mode semble être aux cocktails de plus en plus exotiques.

Ces cocktails sont de toutes tailles, formes et couleurs, leur « addictivité » dissimulant habilement leur teneur réelle en alcool, en tout cas suffisamment pour permettre à chacun de s’égayer avec ses voisins.

Un soir, il y a de cela très longtemps, j’ai appris à mes dépens, alors que je devenais de plus en plus friand des whiskies sours proposés, que les cocktails sont tout simplement dangereux.

Mais les cocktails n’ont pas à se limiter aux contenus d’un shaker bien remué.

Ce bon vieux Molotov a eu un jour une idée intéressante… en supposant que ce soit la raison pour laquelle une bouteille d’essence, munie d’un bouchon en tissu qui puisse être allumé et jeté en l’air, est appelée un cocktail Molotov.

D’où que vienne son nom, c’est un outil de plaisir assez populaire chez les rebelles.

Dans notre industrie, nous semblons préférer nos propres cocktails, et je ne parle pas de la soirée de Noël à la DTC, organisée pour ses sightholders en janvier.

Je suppose que la plupart des invités accueilleraient bien volontiers un seau de whisky sour pour réussir à supporter les discours.

Nous nous trouvons dans une situation très étrange ; de par son incompétence, aidée et encouragée par une catastrophe naturelle (un déluge biblique à la mine Venetia), le fournisseur dominant, la De Beers, va se retrouver à court de brut, et ce certainement jusqu’à l’automne.

À voir les prix du brut flamber ces deux dernières semaines et à entendre que certains thésaurisent leur brut, j’ai eu mon premier tremblement, rappel d’une surdose de whisky sour.

Dans le même temps, Monsieur Mellier, le directeur général de la De Beers, a été dire à tout le monde, enfin, à ceux qui étaient réveillés, qu’il prévoyait, voulait ou insisterait pour que les prix augmentent d’au moins 10 % cette année.

On pourrait penser que nous sommes au beau milieu d’une orgie glorieuse, dans un marché en plein essor ou lors d’une soirée-cocktail. Si c’est le cas, je suis passé à côté, comme tous ceux à qui je parle.

Les activités commerciales ne sont pas un conte de fée.

Pour être tout à fait juste, dans ce contexte de morosité économique générale, la situation est particulièrement bonne. Mais objectivement, le seul marché qui semble générer un peu d’activité reste l’Amérique et l’impulsion donnée par la Chine et l’Inde s’est évanouie, pour le moment en tout cas.

Parallèlement, l’altercation très médiatisée entre ABN AMRO et l’un de ses grands sightholders a amené la banque, ainsi que je l’ai compris, à accepter 60 cents par dollar sur un prêt de 150 millions de dollars.

Quels que soient les détails de cette querelle entre les deux parties, elle aurait dû avoir, a eu inévitablement et aura un impact sur l’attitude des banques qui prêtent à notre industrie, et pas seulement ABN.

C’est toujours en période de difficultés que les véritables subtilités de la gestion des affaires reçoivent l’attention qu’elles méritent.

Ce n’est pas comme si nul ne connaissait cette réalité, souvent désagréable.

Tant que les affaires sont en plein essor et que tout le monde gagne de l’argent, personne ne se soucie de ce qui se passe. La dernière chose que l’on veuille, c’est être le rabat-joie de service qui va gâcher la fête.

Il en a été ainsi avec le principal scandale sur le marché, le scandale du Libor, et avec le scandale de notre propre contamination à la viande de cheval.

Une fois achevées les réjouissances, personne ne peut s’empêcher de pointer du doigt tous ses voisins.

Je ne sais pas vous, mais moi je trouve le scandale de la viande « contaminée » assez amusant.

Apparemment, nous avons tous, sans le savoir, ingéré de la viande de cheval, or beaucoup en mangent à dessein…

Alors, en dehors d’avoir être trompés et, pour certains, d’avoir vu leur sensibilité religieuse mise à l’épreuve, à quoi rime tout ce battage, alors même qu’il existe une faible chance que Berlusconi réapparaisse comme Banquo [1] sur la scène politique italienne ?

Des dizaines et des dizaines de millions de livres sterling de produits ont été retirés des rayonnages et l’indignation générale n’a pu été réprimée que par une histoire encore plus futile, sauf pour la victime, celle du meurtre par M. Pistorius de sa petite amie très photogénique, volontairement ou par accident.

Il n’existe absolument aucun risque pour la santé à consommer de la viande de cheval et, comme je l’ai dit, tout le monde en mastique avec plaisir depuis un certain temps, sans rien en savoir.

Les réactions me paraissent tout à fait exagérées, comme si tout le monde avait bu un peu trop de cocktails.

L’hystérie collective qui pourrait naître de la prétendue pénurie de brut à court terme, et ce malgré une demande de taillé assez modérée et des banques de plus en plus réticentes à prêter à l’industrie, apparaît, pour moi, comme un nouvel effet secondaire des cocktails enivrants de notre industrie.

Santé !

Source Polished Prices


[1] Personnage de McBeth qui réapparaît sous forme de fantôme.